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douzième du pied est le pouce. Armés de cette mesure, les architectes vont y subordonner tous les membres de leurs édifices : c’est donc l’homme qui devient le module, et ce module est invariable. Cela ne veut pas dire que l’architecture du moyen âge, à son origine et à son apogée, soit un simple calcul, une formule numérique ; non, ce principe se borne à rappeler toujours la taille humaine. Ainsi, quelle que soit la hauteur d’une pile, la base de cette pile ne dépasse jamais la hauteur d’appui ; quelle que soit la hauteur d’une façade, la hauteur des portes n’excédera pas deux toises, deux toises et demie au plus, parce qu’on ne suppose pas que des hommes et ce qu’ils peuvent porter, tels que bannières, dais, bâtons, puissent dépasser cette hauteur. Quelle que soit la hauteur d’un vaisseau, les galeries de service à différents étages seront proportionnées, non à la grandeur de l’édifice, mais à la taille de l’homme. Voilà pour certains membres principaux. Entrons plus avant dans la théorie. On a été chercher fort loin l’origine des colonnes engagées qui, dans les monuments du moyen âge, s’allongent indéfiniment, quel que soit leur diamètre, contrairement au mode grec ; il n’était besoin cependant que de recourir au principe de l’échelle admis par les architectes de ces temps pour trouver la raison de cette innovation. On nous a dénié l’influence de l’échelle humaine, en nous disant, par exemple, que les colonnes engagées des piles de la cathédrale de Reims sont bien plus grosses que celles d’une église de village ; nous répondons que les colonnes engagées de la cathédrale de Reims ne sont pas dans un rapport proportionnel avec des colonnes engagées d’un édifice quatre fois plus petit. C’est matière de géométrie.

Prenons un monument franchement gothique, la nef principale de la cathédrale d’Amiens. Cette nef a, d’axe en axe des piles, 14m,50 ; les colonnes centrales portent 1m,36 de diamètre, et les quatre colonnettes engagées qui cantonnent ces colonnes centrales, 0,405m. Nous demandons que l’on nous indique une nef de la même époque, n’ayant que 7m,25 de largeur d’axe en axe des piles, dont les colonnes centrales n’auraient que 0,68 c. de diamètre et les colonnes engagées 0,20 c., c’est-à-dire étant dans un rapport exact de proportion avec la nef de la cathédrale d’Amiens.

Voici un monument qui se présente à propos, construit en matériaux très-résistants, tandis que ceux dont se compose la cathédrale d’Amiens ne le sont que médiocrement : c’est la nef de l’église de Semur-en-Auxois, bâtie en même temps que celle de la cathédrale d’Amiens. La nef n’a en largeur qu’un peu moins de la moitié de celle-ci, 6m,29. Or les colonnes centrales ont 1m,08 de diamètre, et les colonnes engagées qui les cantonnent, 0,27 c., au lieu de 0,64 c. et 0,19 c. Ces rapports proportionnels que nous trouvons dans l’architecture antique n’existent donc pas ici ; notez que 0,405m font juste 15 pouces, et 0,27 c., 10 pouces, et les colonnettes cantonnantes des piles de l’église de Semur sont les plus grêles que nous connaissions de cette époque ; ordinairement ces colonnettes, qui ont une si grande importance parce qu’elles portent en apparence les