Page:Viollet-le-Duc - Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, 1854-1868, tome 5.djvu/223

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
[engin]
— 221 —

Or, pour que les murs aient été froissés, endommagés par les caables, il faut admettre que les caables lançaient des blocs de pierre. Le caable est donc une pierrière. « Une grande perière, que l’on claime chaable, si grosse…[1]. » Guibert de Nogent, dans son Histoire des Croisades[2], parle des nombreuses balistes qui furent dressées autour des murailles de la ville de Césarée par l’armée des chrétiens. Ces caables ou chaables et ces balistes nous paraissent être une imitation des engins à ressorts en usage chez les Romains et perfectionnés par les Byzantins. Il est certain que ces engins avaient une grande puissance, car le même auteur rapporte que ces machines vomissaient avec fureur les plus grosses pierres qui, « non-seulement allaient frapper les murs extérieurs, mais souvent même atteignaient de leur choc les palais les plus élevés dans l’intérieur de la ville. » Ces balistes étaient posées sur des roues et pouvaient ainsi être changées de place suivant le besoin ; c’était là, d’ailleurs, une tradition romaine, car sur les bas-reliefs de la colonne Trajane on voit quelques-uns de ces engins posés sur des chariots traînés par des chevaux. Beaucoup d’auteurs ont essayé, en s’appuyant sur les représentations peintes ou sculptées du moyen âge, de rendre compte de la construction de ces machines de jet ; mais ces interprétations figurées nous paraissent être en dehors de la pratique et ressembler à des jouets d’enfants assez naïvement conçus. Cependant leur effet, bien qu’il ne pût être comparé à celui produit par l’artillerie à feu, occasionnait de tels désordres dans les travaux de fortification, qu’il faut bien croire à leur puissance et tâcher d’en donner une idée exacte. C’est ce à quoi nous nous attachons dans les figurés qui vont suivre, et qui, tout en respectant les données générales que nous fournissent les vignettes des manuscrits et les bas-reliefs, sont étudiés comme s’il fallait en venir à l’exécution. Bien entendu, dans ces figurés, nous n’avons admis que les procédés mécaniques connus des ingénieurs du moyen âge.

Voici donc d’abord un de ces engins, baliste, caable ou pierrière, mu par des ressorts et des cordes bridées, propre à lancer des pierres (7). La pièce principale est la verge A, dont l’extrémité inférieure passe dans un faisceau de cordes tordues au moyen de clefs B et de roues à dents C, arrêtées par des cliquets. Les cordes sont passées dans deux anneaux tenant à la tige à laquelle la roue à dents vient s’adapter, ainsi que l’indique le détail D. Ces cordes ou nerfs tordus à volonté à la partie inférieure de la verge avaient une grande force de rappel[3]. Mais pour augmenter encore la rapidité de mouvement que devait prendre la verge, des ressorts en bois et nerfs entourés de cordes, formant deux branches d’arcs E attachées à

  1. Guillaume de Tyr, liv. VI, chap. XV.
  2. L. VII.
  3. On sait que les menuisiers tendent les lames de scie au moyen de cordes ainsi tordues et bridées par un petit morceau de bois qui fait absolument l’effet de la verge de notre engin.