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la subtilité et l’attention qu’ils mettaient à leur bâtir des palais ou des églises. Ces batteries d’engins à contre-poids, qui nuit et jour envoyaient sans trêve des projectiles dans les camps ou les villes ennemies, causant de si terribles dommages qu’il fallait Venir à composition, n’étaient donc pas des joujoux comme ceux que l’on nous montre habituellement dans les ouvrages sur l’art militaire du moyen âge. Les projectiles étaient de diverses sortes : boulets de pierre, paquets de Cailloux, amas de charognes, matières incendiaires, etc[1].

Les Orientaux, qui paraissent être les premiers inventeurs de ces engins à contre-poids, s’en servaient avec avantage déjà dès le xie siècle. Ils employaient aussi les pierrières, chaables, pierrières turques, au moyen desquelles ils jetaient sur les ouvrages ennemis non-seulement des pierres, mais aussi des barils pleins de matières inflammables (feu grégeois) que l’eau ne pouvait éteindre, et qui s’attachaient en brûlant sur les charpentes des hourds ou des machines.

Joinville nous a laisse une description saisissante des terribles effets de ces engins. « Le roy ot conseil, dit-il, quand il s’agit de passer un des bras du Nil devant les Sarrasins, que il feroit faire une chauciée par mi la rivière pour passer vers les Sarrasins. Pour garder ceux qui ouvroient (travaillaient) à la chauciée, et fit faire le roy deux beffrois que l’en appele chas-chastiau (nous parlerons tout à l’heure de ces sortes d’engins) ; car il avoit deux chastiaus devant les chus et deux massons (palissades) derrière les chastiaus, pour couvrir ceulz qui guieteroient (qui feraient le guet), pour (contre) les copz des engins aux Serrazins, lesquiex avoient seize engins touz drois (sur une même ligne, en batterie). Quant nous venimes là, le roy fist faire dix huit engins, dont Jocelin de Cornaut estoit mestre engingneur (un maître engingneur commandait donc la manœuvre de plusieurs engins). Nos engins getoient au leur, et les leurs aus nostres ; mes onques n’oy dire que les nostres feissent biaucop… Un soir, avint, là où nous guietions les chas-chastiaus de nuit, que il nous avièrent un engin que l’en appèle perrière, ce que il n’avoient encore fait, et mistrent le feu gregoiz en la fonde de l’engin (cuiller de l’engin)… Le premier cop que il jetèrent vint entre nos deux chastelz, et chaï en la place devant nous que l’ost avoit fait pour boucher le fleuve. Nos esteingneurs (on avait donc des hommes spécialement chargés d’éteindre les incendies allumés par les ennemis) furent appareillés pour estaindre le feu ; et pour ce que les Sarrazins ne pooient trère à eulz (tirer sur ces éteigneuxs), pour les deux eles des paveillons que le roy y avoit fait faire (à cause des ouvrages palissadés qui réunissaient les chas-chatelz), il traioient tout

  1. Voy. le Précis historique de l’Influence des armes à feu sur l’art de la guerre, par le prince Louis-Napoléon Bonaparte, président de la République. L’illustre auteur constate l’importance des grandes machines de jet du moyen âge et en reconnaît la valeur.