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[flèche]
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lorsqu’un édifice ou partie d’un édifice se découpe entièrement sur le ciel, rien n’est indifférent dans la masse comme dans les détails ; la moindre inattention dans l’adoption d’un ornement, dans le tracé d’un contour, dérange entièrement l’harmonie de la masse. Il est nécessaire que tout soit clair, facile à comprendre, que les profils et ornements soient à l’échelle, qu’ils ne contrarient jamais la silhouette, et cependant qu’ils soient tous visibles et appréciables.

La flèche de Notre-Dame de Paris est entièrement construite en chêne de Champagne ; tous les bois sont recouverts de lames de plomb, et les ornements sont en plomb repoussé[1].

Alors comme aujourd’hui, l’occasion d’élever des flèches de charpente aussi importantes ne se présentait pas souvent. Le plomb était plus cher autrefois qu’il n’est aujourd’hui, bien que son prix soit encore fort élevé ; sur de petites églises de bourgades, de villages ou d’abbayes pauvres, on ne pouvait penser à revêtir les flèches de charpente qu’en ardoise. Il fallait, dans ce cas, adopter des formes simples, éviter les grands ajours et bien garantir les bois contre la pluie et l’action du soleil.

Nous avons constaté bien des fois déjà que l’architecture du moyen âge se prête à l’exécution des œuvres les plus modestement conçues comme à celle des œuvres les plus riches : cela seul prouverait que c’est un art complet. Si l’architecture ne peut s’appliquer qu’à de somptueux édifices et si elle se trouve privée de ses ressources quand il faut s’en tenir au strict nécessaire, ce n’est plus un art, mais une parure sans raison, une affaire de mode ou de vanité.

Nous donnons (22) un exemple de ces flèches entièrement revêtues d’ardoises, élevée, comme celle de Notre-Dame de Paris, à la rencontre des combles sur le transsept : c’est la flèche de l’église d’Orbais (Marne), autrefois dépendante d’une abbaye. Excepté les extrémités des poinçons, qui sont revêtues de chapeaux de plomb très-simples, toute la charpente est couverte en ardoise. On voit, en A, la moitié d’un des pans-de-bois de la souche ; CD est l’arbalétrier du comble. Comme toujours, cette souche est diminuée, ayant 4m,88 à sa base et 4m,66 à son sommet au niveau de l’enrayure de la pyramide. Celle-ci est octogone et pose ses angles sur les milieux des pans-de-bois, ainsi que le fait voir le tracé B. Les arêtiers E sont soulagés par des contre-fiches G assemblées dans les poteaux d’angle H, et sur les angles F sont posés quatre petits pinacles, visibles sur le tracé perspectif. Le corps de la flèche, la pyramide, les pinacles et les lucarnes sont couverts d’ardoises petites, épaisses, clouées sur de la volige de

  1. La charpente de cette flèche a été exécutée par M. Bellu, et la plomberie par MM. Durand frères et Monduit. L’ensemble, compris les ferrures, pèse environ 500 000 kilog. Chacune des piles du transsept pourrait porter ce poids sans s’écraser. Les douze statues des apôtres et les quatre figures des symboles des évangélistes qui garnissent les quatre arêtiers des noues sont en cuivre repoussé, sur les modèles exécutés par M. Geoffroy-Dechaume.