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ornements romains exécutés à la tâche par des artistes peu soucieux de la forme, d’après des traditions mal comprises ; que la flore locale étant admise comme point de départ de toute ornementation, les types étant suffisamment variés, faciles à trouver, vivants, chacun peut, suivant son goût ou son mérite, trouver des applications innombrables de ces types ; que, dans les arts, s’il faut établir des principes très-rigoureux, il est nécessaire de permettre toutes les applications qu’on en peut faire. Si bien que ces artistes laïques du XIIIe siècle, qui ont fermement cru ouvrir aux arts une ère de liberté, de progrès, et qui l’ont ouverte en effet, seraient probablement étonnés s’ils entendaient dire aujourd’hui, par ceux qui veulent nous river aux arts de l’antiquité et à leurs imitations non raisonnées, que cet art du XIIIe siècle est un art suranné, sans applications nouvelles.

« Eh ! qui vous empêche d’en faire ? pourraient-ils répondre ; nous n’avons pas imposé des formes, nous n’avons mis que des principes en avant, soit en construction, soit en ornementation ; nous avons pris la forme, il est vrai, qui nous semblait le mieux s’accorder avec ces principes et notre goût ; mais qui vous interdit d’en prendre d’autres, ou de modifier celles que nous avons adoptées ? Croyez-vous être neuf parce que vous imitez un chapiteau du temple de Mars Vengeur, ou d’une maison de Pompéi, ou une arabesque de la Renaissance, ou un cartouche du XVIIe siècle, ou une frise du boudoir de madame de Pompadour ? Ne pensez-vous point qu’il y aurait plus de chances de trouver des formes neuves en allant cueillir dans les bois quelques-unes de ces herbes sur lesquelles vous marchez, indifférents ; en analysant ces plantes, comme nous le faisions nous-mêmes ; en examinant les angles de leurs pétioles, le galbe de leurs feuilles, les attaches de leurs tigettes ? Qui vous demande de copier nos chapiteaux ? Allez chercher les mêmes modèles que nous, tâchez de les mieux comprendre que nous, ce qui ne vous sera pas difficile, puisque vous êtes plus savants et que toute la terre apporte ses végétaux dans vos serres. Est-ce que nous nous copiions réciproquement ? est-ce que nos artistes n’allaient pas recourir sans cesse à ces sources naturelles ? Il y a peut-être un million de chapiteaux de notre temps en France, vous n’en trouverez pas deux identiquement semblables ; il en est de même pour toute notre ornementation sculptée. Nous avons reproduit des milliers de fois et la feuille de vigne, et celle du figuier, et celle du lierre, et celles des géraniums, et celle de l’érable, et celle de la grenadine, et celle de la violette, et celles des fougères ; mais pour faire une feuille d’érable nous n’allions pas copier la sculpture de notre voisin, nous allions nous promener dans les taillis ; aussi nos feuilles d’érable sculptées sur les édifices que nous avons élevés sont aussi variées que peuvent l’être celles qui poussent dans les bois. D’ailleurs, avec ces fragments de végétaux, nous composions, nous inventions des combinaisons neuves ; pourquoi ne pas faire comme nous avons fait, et en quoi cette méthode vous fera-t-elle rétrograder ? — Rétrograder est votre plus