Page:Viollet-le-Duc - Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, 1854-1868, tome 5.djvu/60

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
[donjon]
— 58 —

sont parfaitement visibles et s’expliquent pour peu qu’on apporte quelque attention dans leur examen. La bâtisse est bien faite ; les pieds-droits des fenêtres, les arcs, les piles et angles sont en pierre de taille ; le reste de la maçonnerie est en moellon réuni par un excellent mortier. Le donjon d’Étampes devait être une puissante défense pour l’époque ; très-habitable d’ailleurs, il pouvait contenir une nombreuse garnison relativement à la surface qu’il occupe.

Les donjons sont certainement de toutes les constructions militaires celles qui expliquent le plus clairement le genre de vie, les habitudes et les mœurs des seigneurs féodaux du moyen âge. Le seigneur féodal conservait encore quelque chose du chef frank, il vivait dans ces demeures au milieu de ses compagnons d’armes ; mais cependant on s’aperçoit déjà, dès le XIIe siècle, qu’il cherche à s’isoler, à se séparer, lui et sa famille, de sa garnison ; on sent la défiance partout, au dedans comme en dehors de la forteresse. La nuit, les clefs du donjon et même celles du château étaient remises au seigneur, qui les plaçait sous son chevet[1]. Comme nous l’avons vu et le verrons, le véritable donjon est rapproché des dehors ; il possède souvent même des issues secrètes indépendantes de celles du château, pour s’échapper ou faire des sorties dans la campagne ; ses étages inférieurs, bien murés, sont destinés aux provisions ; ses étages intermédiaires contiennent une chapelle et l’habitation ; son sommet sert à la défense ; on y trouve toujours un puits, des cheminées et même des fours. D’ailleurs, les donjons présentent des dispositions très-variées, et cette variété indique l’attention particulière apportée par les seigneurs dans la construction d’une partie si importante de leurs châteaux. Il est évident que chaque seigneur voulait dérouter les assaillants par des combinaisons défensives nouvelles et qui lui appartenaient. C’est à dater du XIIe siècle que l’on remarque une singulière diversité dans ces demeures fortifiées ; autant de donjons en France, autant d’exemples. Nous choisirons parmi ces exemples ceux qui présentent le plus d’intérêt au point de vue de la défense, car il faudrait sortir des limites que nous nous sommes imposées dans cet ouvrage pour les donner tous.

Suger[2] dit quelques mots du château de La Roche-Guyon, à propos de la trahison de Guillaume, beau-frère du roi, envers son gendre Gui. « Sur un promontoire que forment dans un endroit de difficile accès les rives du grand fleuve de la Seine, est bâti un château non noble, d’un aspect effrayant, et qu’on nomme La Roche-Guyon : invisible à sa surface, il est creusé dans une roche élevée ; la main habile de celui qui le construisit a coupé sur le penchant de la montagne, et à l’aide d’une étroite et

  1. « Si que la nuyt venue qu’il le devoit livrer, il alla (le chambellan) prendre les clefz dessoubz le chevet de Gerart qui se dormoit avec ma dame Berte en son donion, et ouvrit la porte du chasteau au roy et aux Françoys. » (Gérard de Roussillon, édit. de Lyon, 1856.)
  2. Vie de Louis le Gros, ch. XVI. Mém. rel. à l’hist. de France, trad. de M. Guizot.