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régulières de 0,40 c. à 0,50 c. de hauteur, est bien faite ; le mortier excellent, les lits épais et bien remplis. La sculpture est traitée avec un soin particulier et des plus belles de cette époque ; elle est complétement peinte.

L’ingénieur Métezeau, qui fut chargé par le cardinal Mazarin de détruire le château de Coucy, voulut faire sauter le donjon. À cet effet, il chargea, au centre, à deux mètres au-dessous du sol, un fourneau de mine dont nous avons retrouvé la trace. Il pensait ainsi faire crever l’énorme cylindre ; mais l’explosion n’eut d’autre résultat que d’envoyer les voûtes centrales en l’air et d’occasionner trois principales lézardes dans les parois du tube de pierre. Les choses restèrent en cet état jusqu’à ces derniers temps. De nouveaux mouvements ayant fait craindre l’écroulement d’une des tranches de la tour lézardée, des travaux de restauration furent entrepris sous la direction des Monuments historiques dépendant du ministère d’État, et aujourd’hui cette belle ruine est à l’abri des intempéries ; les lézardes ont été reprises à fond, les parties écrasées consolidées. Si les voûtes étaient rétablies, on retrouverait le donjon d’Enguerrand III dans toute sa splendeur sauvage. La disposition vraiment originale du donjon de Coucy est celle de ce second étage destiné à réunir la garnison.

Nous essayons d’en donner une faible idée dans la fig. 40. Qu’on se représente par la pensée un millier d’hommes d’armes réunis dans cette rotonde et son portique disposé comme des loges d’une salle de spectacle, des jours rares éclairant cette foule ; au centre, le châtelain donnant ses ordres, pendant qu’on s’empresse de monter, au moyen d’un treuil, des armes et des projectiles à travers les œils des voûtes. Ou encore, la nuit, quelques lampes accrochées aux parois du portique, la garnison sommeillant ou causant dans ce vaste réservoir d’hommes ; qu’on écoute les bruits du dehors qui arrivent par l’œil central de la voûte, l’appel aux armes, les pas précipités des défenseurs sur les hourds de bois, certes on se peindra une scène d’une singulière grandeur. Si loin que puisse aller l’imagination des romanciers ou des historiens chercheurs de la couleur locale, elle leur représentera difficilement ce que la vue de ces monuments si grands et si simples dans leurs dispositions rend intelligible au premier coup d’œil. Aussi conseillons-nous à tous ceux qui aiment à vivre quelquefois dans le passé d’aller voir le donjon de Coucy, car rien ne peint mieux la féodalité dans sa puissance, ses mœurs, sa vie toute guerrière, que cet admirable débris du château d’Enguerrand.

Les donjons normands sont des logis plus ou moins bien défendus, élevés par la ruse et la défiance ; les petits moyens sont accumulés pour dérouter l’assaillant : ce sont des tanières plutôt que des édifices. Au fond, dans ces forteresses, nulle disposition d’ensemble, mais force expédients. Le donjon normand tient encore de la demeure du sauvage rusé ; mais, à Coucy, on reconnaît la conception méthodique de l’homme civilisé qui sait ce qu’il veut et dont la volonté est puissante ; ici plus de tâtonnements : la forteresse est bâtie rapidement, d’un seul jet ; tout est prévu, calculé, et