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lots pour profiter du terrain d’une ruelle. De deux maisons, deux propriétaires n’en faisaient réellement qu’une, avec mur de séparation dans l’axe du pignon. Toutefois cette méthode est rarement employée. Les ruelles entre les maisons n’ont quelquefois que la largeur d’un caniveau, ainsi qu’on peut le constater encore dans la ville de Montpazier, dont le plan général est d’une si parfaite régularité et ordonnance (voyez Alignement, fig. 1) ; mais alors ces maisons possèdent deux façades, l’une sur une rue de 10 mètres de largeur, l’autre postérieure sur une ruelle de 3 mètres environ[1]. Nous reviendrons tout à l’heure sur ces habitations de la fin du XIIIe siècle.

Nous avons donné une maison de la ville de Cluny qui date du XIIe siècle ; dans notre article Construction, fig. 115, 116, 117 et 118, on voit les élévations, plans et coupes d’une façade de maison de cette même ville, construite vers la moitié du XIIIe siècle. Déjà les jours sont plus larges, les étages plus élevés, la construction de pierre plus importante et d’une apparence plus svelte. Dans quelques villes fermées on élevait, au XIIIe siècle, des habitations à plusieurs étages dont les

    avec places, marchés, églises, fontaines et remparts, maisons avec ou sans allées couvertes, mais bâties d’après un lotissement égal. Nous savons que ces faits dérangent quelque peu les théories sur l’irrégularité et le désordre systématiques que l’on prête aux constructions civiles du moyen âge ; mais nous ne pouvons qu’engager les archéologues à visiter ces localités, s’ils veulent prendre une idée de ce qu’était une petite ville du XIIIe siècle, élevée, sur un plan arrêté, dans un espace de temps très-court. Comme le dit si bien M. F. de Verneilh : « Dans la seconde moitié du XIIIe siècle et dans une région très-limitée de la France, en Guienne et en Languedoc, cinquante villes peut-être se sont fondées sans que nos historiens aient donné la moindre attention à cette grande œuvre de civilisation et de progrès. Au moins vingt de ces bastides, les plus récentes et les plus parfaites, sont dues à la domination anglaise, et l’histoire des Sismondi et des Guizot ne parle pas de ce bienfait toujours actuel, quoiqu’il date de six siècles. Si, au lieu de fonder tant de villes, Édouard Ier en avait violemment détruit une seule, tous nos livres retentiraient encore de ce fait d’armes. Mais l’histoire du moyen âge est ainsi faite… » Ajoutons que ces renseignements précieux, recueillis par un de nos plus savants archéologues français, ne paraissent pas avoir été consultés par M. Champollion-Figeac, qui, s’étendant longuement sur les constructions urbaines du moyen âge dans son traité des Droits et usages, et entamant la question d’architecture sans avoir eu le loisir d’aller visiter quelques-unes de ces constructions civiles, nous demande où nous avons pris les plans d’Aigues-Mortes, de Villeneuve-le-Roi, de Sainte-Foy et de Montpazier ! et si l’exécution répondit aux projets ! qui nous demande encore de lui démontrer l’ancienneté des maisons de la ville de Cluny… Mais ne pourrions-nous, avec bien plus de raison, lui demander de nous démontrer l’authenticité des textes qu’il prend la peine de transcrire ? Ces villes sont debout, habitées, et en quelques jours chacun peut les voir avec leurs vieilles rues alignées, les restes de leurs remparts, leurs places et leurs églises ; quant aux projets de leur plantation, il serait intéressant de les retrouver sans doute, bien que cette découverte ne pût rien ajouter à l’importance du fait de l’existence de ces villes qui, depuis six siècles, n’ont pas cessé d’être habitées.

  1. On observera que cet usage s’est conservé à Londres.