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limpide et pur s’est coagulé de nouveau sous une seconde invasion étrangère. Il a fallu redevenir romains, et encore, sous quels Romains ! La symétrie a dû remplacer la logique, une imitation pâle d’un art mort s’est substituée à l’originalité native de notre pays. Des doctrines faussées, enseignées avec persistance, ont peu à peu pris racine dans tous les esprits, et l’engouement pour un art fastueux que personne ne comprend et que personne n’explique, parce qu’il ne saurait être expliqué devant des esprits naturellement clairs et logiques, a remplacé ce goût inné pour cet art vrai fait pour notre taille et au milieu duquel nous nous sentions chez nous.

La maison du moyen âge, en France, est l’habitation de l’homme né sur le sol. La maison de nos jours est l’habitation banale, uniformément confortable ; comme si la vie du négociant, ses mœurs et ses besoins ressemblaient à la vie, aux mœurs et aux besoins du soldat ; comme si le logement qui convient à un notaire convenait à une femme à la mode. Cette uniformité, incommode pour tous, à tout prendre, est telle que l’homme aujourd’hui voué à une carrière est obligé de se faire bâtir une maison pour lui, s’il ne veut pas chaque jour avoir à lutter contre les ennuis et les difficultés que lui cause le logis banal. Chacun est mal à l’aise dans la boîte qu’il loue, mais les passants ne voient que des façades à peu près identiques et qui nous auraient déjà fait mourir du spleen si dans notre pays nous pouvions tomber sous l’empire de cette maladie[1].

Mais (et c’est là un motif de ne pas désespérer de l’avenir) ce n’est pas de notre temps qu’on a tenté pour la première fois de mouler, dirons-nous, les habitants d’une cité dans des compartiments réguliers, alignés, identiques. Les seigneurs, au moyen âge, ne comprenaient pas beaucoup mieux que nos édilités modernes les questions d’art, ce qui n’a pas empêché la nation de posséder son art. Les Anglais, notamment, ne paraissent pas à cette époque avoir pénétré le génie français ; et en leur qualité d’étrangers, nous ne saurions leur en vouloir : « Dans la seconde moitié du XIIIe siècle, temps de paix et de prospérité, dit M. Félix de Verneilh[2], un petit coin de l’une des provinces se couvrit rapidement de ces villes neuves appelées bastides dans l’ancienne langue du midi. Voici par quelles circonstances. Alphonse de Poitiers, frère de saint Louis, était devenu, par son mariage avec l’héritière des comtes de Toulouse, le seigneur nominal d’une partie de la Guienne. » Comme tel, et bien que cette souveraineté se réduisît souvent à un titre, il pré-

  1. Il faut être vrai, l’excès, en France, amène bientôt la réaction, et tout porte à croire que les orgies de symétrie auxquelles on s’est livré depuis le commencement du siècle, et particulièrement depuis quelques années, conduiront à un soulèvement universel contre cette façon barbare de comprendre l’art de l’architecture.
  2. Voy. les Annales archéologiques, t. VI, p. 71. Peu d’archéologues ont fait, de notre temps, des études aussi complètes et riches de fait que M. Félix de Verneilh, en ce qui regarde les villes du moyen âge particulièrement.