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risques que ceux qui affermaient à temps ou qui obtenaient une concession territoriale moyennant certaines redevances fixes ; ils vivaient dans un état de sécurité plus complet. C’est ce qui explique le caractère d’aisance que l’on observe dans les habitations rurales de cette contrée, mais aussi leur uniformité depuis plusieurs siècles.

Dans le Nord, et particulièrement en Normandie, le système des tenures à moitié, ou des concessions perpétuelles moyennant une rente fixe, fut généralement remplacé dès le XIIIe siècle par le bail à terme. Le seigneur conservait la propriété de sa terre et en cédait la jouissance à un cultivateur pour un temps limité et à des conditions déterminées. « Plusieurs causes, dit M. L. Delisle[1], favorisèrent les développements de cette tenure, et la firent préférer aux concessions perpétuelles. Dans les premiers siècles de la féodalité, on n’avait guère connu que ces dernières ; mais on finit par s’apercevoir que la rente stipulée par contrat d’inféodation perdait avec le temps la plus grande partie de sa valeur. C’était une conséquence inévitable, non-seulement de l’altération des monnaies, mais encore de la révolution qui s’opérait dans le rapport de l’argent avec les objets de consommation. D’une autre part, l’affaiblissement du régime féodal tendait à priver les seigneurs des principaux moyens qu’ils employaient précédemment pour exploiter leurs domaines non fieffés. On conçoit donc comment ils furent amenés à traiter avec les fermiers. Ils se déchargeaient des embarras et des frais de l’exploitation, et n’étaient plus exposés à voir leur fortune réduite à des rentes dont la valeur nominale n’était pas altérée, mais dont la valeur réelle devenait de plus en plus insignifiante. » Quelquefois même le seigneur, ayant besoin d’argent comptant, faisait payer au fermier, en passant le contrat de louage, le montant total du prix de fermage pendant plusieurs années. Il est évident que ces véritables emprunts étaient faits à des conditions onéreuses pour le propriétaire et tendaient à enrichir le laboureur. Aussi, est-ce en Normandie où l’on voit les habitations rurales prendre une importance relative considérable et se modifier plus rapidement que dans toute autre province.

Sur les côtes de la Méditerranée, on trouve parfois des habitations des champs qui affectent la forme d’une tour ou d’un petit donjon, et qui appartiennent à une époque assez ancienne ; mais ces maisons ont été plutôt habitées par des pirates que par des agriculteurs. Il en existe quelques-unes entre Toulon et Cannes.

Voici (45) l’une d’elles encore entière, bâtie à l’entrée du village de Cannet, près Cannes, à mi-côte et à quatre kilomètres environ de la mer. Elle consiste en une tour carrée possédant deux étages et un rez-de-chaussée sans communication avec l’extérieur. La porte, relevée de trois mètres au-dessus du terrain extérieur, n’était accessible qu’au moyen d’une

  1. Études sur la condit. de la classe agric. en Normandie au moyen âge, p. 51. Évreux, 1851.