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[perron]
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Voilà donc un jugement rendu par le suzerain, en plein air, du haut du perron de son palais.

Ces perrons, par l’importance même qu’ils prenaient dans les palais et châteaux, étaient richement bâtis, ornés de balustrades et de figures sculptées. Quelques seigneurs, d’après un usage qui semble fort ancien, attachaient même parfois des animaux sauvages au bas des perrons, comme pour en défendre l’approche. Un fabliau du XIIIe siècle[1] rapporte qu’un certain sénéchal de la ville de Rome, homme riche et puissant, avait attaché un ours au perron de son palais. En haut du perron du château de Coucy, à l’entrée de la grand’salle, était une table portant un lion de pierre, soutenue par quatre autres lions[2].

On nous pardonnera la longueur de ces citations ; elles étaient nécessaires pour expliquer l’importance des perrons pendant le moyen âge. Nous allons examiner maintenant quelques-uns de ces monuments. L’un des plus remarquables, bien qu’il ne fût pas d’une époque très-ancienne, était le perron construit devant l’aile qui réunissait la sainte Chapelle du palais à Paris à la grand’salle. Ce perron datait du règne de Philippe le Bel, et avait été élevé par les soins d’Enguerrand de Marigny. À l’avènement de Louis le Hutin, Enguerrand ayant été condamné au gibet, son effigie fut « jettée du haut en bas des grands degrez du palais[3] ». Ce ne fut que vers la fin du dernier siècle que le grand degré du palais fut détruit, pour être remplacé par le perron actuel (voy. Palais, fig. 1). C’est devant cet emmarchement, un peu vers la gauche, qu’était planté le may. Nous donnons (fig. 1) une vue perspective du perron élevé au commencement du XIVe siècle[4]. Lorsqu’il fut détruit, des échoppes encombraient ses deux murs d’échiffre et venaient s’accoler à la belle galerie d’Enguerrand ; mais la porte que l’on voit dans notre figure subsistait encore presque entière, avec ses trois statues. Une voûte pratiquée sous le grand palier supérieur permettait de communiquer d’un côté à l’autre de la cour. Le perron du palais des comtes de Champagne, à Troyes, présentait une disposition semblable, et datait du commencement du XIIIe siècle. Il donnait directement entrée sur l’un des flancs de la grand’salle. Au bas des degrés, à quelques mètres en avant, était placé un socle sur lequel on coupait le poing aux criminels, après qu’on leur avait lu la sentence qui les condamnait au dernier supplice[5]. Quelquefois ces perrons étaient couverts en tout ou partie tel était celui du châ-

  1. Le Chien et le Serpent (voy. Legrand d’Aussy).
  2. Quelques fragments de ce monument existent encore. Ils ont été déposés dans le donjon.
  3. Antiquités de Paris. Corrozet.
  4. Restaurée à l’aide des anciens plans du palais et des deux dessins de la collection Lassus, qui ont été lithographiés en fac-simile pour faire partie d’une monographie du palais.
  5. Voyez le Voyage archéologique dans le département de l’Aube, par Arnaud. Troyes, 1837.