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et les tours, les mâchicoulis ne sont là qu’un appareil féodal[1]. Nous donnons (fig. 5) une élévation du donjon du palais de Poitiers, faite sur l’un des petits côtés. Aujourd’hui les constructions des tours sont dérasées au niveau N ; cependant les seize statues ont été conservées sur leurs culs-de-lampe, quoique fort mutilées. Ces statues sont revêtues de l’habit civil du commencement du XVe siècle. L’artiste a-t-il voulu représenter les comtes du Poitou ? C’est ce qu’il est difficile de savoir. Quoi qu’il en soit, elles sont d’un beau travail. La coupe transversale du donjon, faite sur la ligne BG du plan (fig. 6), montre les deux salles inférieures, avec leurs voûtes reposant sur une épine de trois piliers, puis le second étage ne formant plus qu’une grand’salle sans piliers. Au-dessus se trouvent le galetas et les chemins de ronde desservant les mâchicoulis. Un escalier à vis compris dans une tour carrée, autrefois englobée dans les logis bâtis entre ce donjon et la grand’salle, permet d’arriver aux trois étages par un couloir détourné, ainsi que l’indique le plan.

Les palais des seigneurs suzerains laïques forment au milieu des villes où ils sont situés une sorte d’oppidum, de lieu à la fois fortifié et sacré, comme était l’acropole des villes grecques. C’est dans le palais suzerain que sont conservées les reliques les plus précieuses et les plus vénérées par le peuple ; c’est là que sont déposés les chartes, les trésors ; c’est là que se tiennent les cours plénières, que siègent les parlements, que se passent les fêtes à l’occasion du mariage des princes, des traités. Quant aux palais des évêques, ils ont un autre caractère qui mérite de fixer l’attention des archéologues. Situés dans le voisinage des cathédrales (ce qui est naturel), ils sont presque toujours bâtis le long des murailles ou sur les murailles mêmes de la cité, et peuvent contribuer à leur défense au besoin. Ce fait est trop général pour qu’il n’ait pas une origine commune. En premier lieu, il prouverait ceci : c’est que les évêchés se sont établis, primitivement, sur quelque castellum tenant aux murs des villes gallo-romaines ; en second lieu, que la construction de ces palais a dû précéder la construction des cathédrales et déterminer leur emplacement. En effet, on ne s’expliquerait pas comment la plupart de nos

    bergium), lieu où, dès l’origine, et sous Charlemagne, furent tenues les audiences publiques et rendue la justice, et dont relevèrent depuis tous les fiefs capitaux de la province….. Ce fut dans le palais de Poitiers que le dauphin, fils de France, fut proclamé roi sous le nom de Charles VII (oct. 1422) ; ce fut là encore que fut interrogée, par les docteurs les plus habiles, Jeanne d’Arc, la Pucelle (mars 1429) ; ce fut là que s’assemblèrent les parlements de Paris et de Bordeaux, au moment où la France presque entière était anglaise… » Si un monument est historique, c’est bien celui-là.

  1. En effet, les saillies des ornements entourant les fenêtres, les statues décorant les cylindres des tours, auraient gêné beaucoup le service des mâchicoulis, si l’on eût voulu en faire usage en cas d’attaque. M. de Mérindol a bien voulu nous communiquer l’excellent travail qu’il a fait sur le palais de Poitiers, et c’est d’après ses relevés très exacts que nos dessins ont été réduits.