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posait des chapeaux qui réunissaient leur tête, puis le tablier soulagé par des liens. Les piles, composées de rangs simples de pieux, avaient cet avantage de n’opposer aucun obstacle au courant. Des gardes triangulaires fichées en amont faisaient dévier les glaçons ou les corps flottants qui auraient pu entamer les piles.

Comme les armées romaines, celles du moyen âge ne se faisaient pas faute d’établir des ponts fixes sur les rivières pour passer leurs gens et leur arroi. Dans la Chanson des Saxons, Charlemagne fait faire un pont sur le Rhône : « Barons, dit-il, aux chefs assemblés :

« Trop est Rune parfonde por mener tel bustin :
N’i porroient passer palefroi ne roncin ;
Mès. i. chose esgart an mon cuer et destin,
Par coi de nostre guerre trarrons ançois à fin :
. i . pont ferons sor Rune par force et par angin,
Les estaches de chasnes, les planches de sapin ;
.xxx. toises aura au travers de chemin.
Puis passerons outre tuit ansamble à .i. brin,
Et ferons la bataille c’on le verra dou Rin,
Et conquerrons Soissoigne sor la gent Guiteclin[1]. »

C’est un poëte qui parle, et nous ne citons ses vers que comme l’expression d’un fait général, admis dans les armées du moyen âge.

Les ponts de bois n’ayant jamais qu’une durée assez limitée, il ne nous reste aucun ouvrage de ce genre qui soit antérieur au XVIe siècle, et nous ne pouvons en prendre une idée que par des vignettes de manuscrits ou des gravures des XVIe et XVIIe siècles. Si l’on veut établir des ponts de bois, ou il faut rapprocher beaucoup les piles, afin de ne donner aux portées des travées du tablier qu’une longueur très-réduite, et éviter ainsi leur fléchissement ; ou il faut armer ces tabliers de contre-fiches assez inclinées pour résister à la flexion, et alors élever beaucoup les têtes des piles au-dessus du niveau de l’eau ; ou il faut suspendre les tabliers à un système de fermes. Ce dernier parti semble avoir été adopté fréquemment pendant le moyen âge. Soient (fig. 14) des piles de trois rangs de pieux espacés de 12m,00 d’axe en axe ; la tête de ces pieux, ne s’élevant pas à plus de 2m,00 au-dessus du niveau de l’eau, on posait sur ces têtes de pieux des longrines, soulagées en A par les fermes B. Ces fermes, légèrement inclinées l’une vers l’autre, étaient rendues solidaires au moyen des traverses supérieures C et des croix de Saint-André D. Sur ces longrines E on posait de fortes solives F, puis les madriers formant le tablier. Ces ouvrages présentaient une grande rigidité, mais ne pouvaient subsister fort longtemps sans se détériorer, et n’étaient guère jetés que sur des cours d’eau dont les crues n’étaient pas considérables.

  1. La chanson des Saxons, chap. CXVIII.