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les assises de tailloirs le faisaient pour les chapiteaux. Ce parti était d’autant plus nécessaire ici, que les vantaux, devant s’ouvrir jusqu’au sommet du tiers-point, se développaient sous une arrière-voussure qui ne pouvait être concentrique à l’arc de face. Les constructeurs n’auraient jamais évidé cette arrière-voussure dans les claveaux de tête, car ils évitaient soigneusement les appareils défectueux. Ils faisaient donc deux arcs juxtaposés : celui de tête fermant la baie au droit des tableaux, et celui d’ébrasement intérieur formant arrière-voussure ; alors la moulure externe reliait ces deux arcs en les rendant solidaires. Dans la structure des portes percées, comme celles des églises, sous des murs épais et haut, les architectes ont grand soin d’éviter les ruptures en extradossant les arcs et en ne les liant pas aux parements. Pour que ces arcs ne tendent pas, sous une pression considérable, à s’écarter de leur plan, ils les sertissent souvent par un rang de claveaux peu épais, mais ayant une forte queue.

C’est en analysant ainsi les membres de cette architecture qui semblent purement décoratifs, qu’on reconnaît le sens droit et pratique des architectes du moyen âge. Il n’est pas une forme dont on ne puisse rendre compte, pas un détail qui ne soit justifié par une nécessité de la structure. Ces architectes peuvent donc nous apprendre quelque chose, ne fût-ce qu’à raisonner un peu lorsque nous bâtissons. Comment dès lors serions-nous surpris si certaines écoles modernes, que l’habitude de raisonner gênerait dans l’emploi de formes injustifiables qu’elles préconisent, prétendent que cet art du moyen âge est barbare, et que son étude n’est bonne qu’à corrompre le goût, qu’à étouffer ce qu’elles veulent considérer comme les saines doctrines ?

Pour ces écoles, l’art de l’architecture semble n’être qu’une affaire de foi, et elles diraient volontiers comme saint Augustin : « Je crois parce que je ne comprends pas. » Nous dirions plus volontiers, s’il s’agit d’architecture : « Ne croyez que si vous comprenez. » Mais, pour comprendre, il faut analyser, raisonner, recueillir et comparer : c’est un travail long et pénible parfois ; plutôt que de s’y livrer, on préfère, en certains cas, condamner sans voir, juger sans connaître, et continuer à empiler des matériaux avec excès, sans économie comme sans raison.

Si dans les plus grandes portes, comme dans celles d’une dimension médiocre, que nous avons présentées à nos lecteurs dans le cours de cet article, on suppute le cube des matériaux employés pour résister à des charges énormes, on constatera que ce cube est très-réduit relativement aux pressions qu’il subit : cela est à considérer.

Il se présentait des conditions telles parfois, que les architectes pouvaient éviter les arcs de décharge plein cintre ou en tiers-point constituant le couronnement de la baie, mais n’osaient pas se fier à un simple linteau, lorsque, par exemple, les portes s’ouvraient dans un mur peu épais et d’une élévation médiocre ; alors ils se contentaient d’un arc de cercle pour fermer le tableau, où ils composaient une courbe surbaissée.