Page:Viollet-le-Duc - Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, 1854-1868, tome 7.djvu/86

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
[peinture]
— 83 —

par une couleur, comme rarement elle ne commence par un ton[1]. Ces principes connus, il reste encore une quantité de règles d’un ordre secondaire que ces artistes du moyen âge ont scrupuleusement observées. Nous en citerons quelques-unes. Le bleu intense étant dur et froid, les peintres l’ont souvent un peu verdi, et l’ont relevé par des semis d’or ; puis ils y ont presque toujours accolé un rouge vif (vermillon), puis après le rouge un vert clair ou même un blanc bleui ou verdi, des traits noirs séparant d’ailleurs chaque ton et chaque couleur. Le bleu en contact direct avec le jaune produit un effet louche, le rouge ou le pourpre a été interposé. Le bleu gris ardoise peut seul se coucher sur une surface jaune. Le vert est souvent mis en contact direct avec le bleu, et c’est une dissonance dont on a tiré parti avec une adresse rare, mais alors le vert incline au jaune ou au bleu, il n’est pas franchement vert ; si le vert est en contact avec le jaune, cette dernière couleur est orangée et le vert est clair, ou le jaune est limpide et le vert est sombre. Les pourpres qui, comme surface, ont la valeur 5, et qui par conséquent doivent occuper le moindre champ dans la décoration peinte, ne s’approchent jamais du violet ; ce ton faux étant absolument exclu, il incline vers l’orangé ou la garance. Nous avons souvent observé combien la nature est ingénieuse dans la combinaison harmonique des tons des plantes : ainsi sur dix géraniums ou dix roses trémières qui auront des fleurs de rouges et de pourpres différents, nous verrons dix tons verts différents pour les feuilles, tons verts combinés chacun pour le rouge ou le pourpre qu’ils entourent. Les peintres du moyen âge avaient-ils étudié les secrets de l’harmonie des tons sur la nature ? Nous ne savons ; mais comment se fait-il que ces secrets soient perdus, ou que les femmes seules les possèdent encore lorsqu’il s’agit de leurs toilettes ? Que s’il faut peindre une salle, nos artistes semblent appliquer au hasard des couleurs, des tons, produisant dans l’ensemble une harmonie presque toujours fausse ? est-ce défaut de principes, de traditions, de pratique ? Il est certain que dans l’art difficile de la décoration peinte, l’instinct ne suffit pas, comme plusieurs le pensent, et que dans cette partie importante de l’architecture, le raisonnement et le calcul interviennent comme dans toutes les autres, à défaut d’une longue suite de traditions.

La peinture décorative la plus simple, celle qui demande le moins de combinaisons, est celle que l’on obtient avec l’ocre jaune, l’ocre rouge ou brun rouge, le noir, le blanc et le composé des deux, le gris. Cette peinture n’est, pour ainsi dire, qu’un dessin, une grisaille chaude de ton, cependant elle peut produire des effets très-variés déjà. L’ocre jaune et

  1. La sainte Chapelle du palais présente le plus curieux exemple de cette échelle chromatique. Malgré de nombreuses et larges traces des tons anciens, lors de la restauration des peintures, les difficultés ont été nombreuses ; il est des tons qu’il a fallu refaire bien des fois, et faute d’une expérience consommée. En couchant un ton dont la trace était certaine, il a fallu souvent changer la valeur des tons supérieurs ou inférieurs.