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la recherche d’un idéal dans l’art en prenant pour base l’examen attentif de la nature, le progrès par conséquent, mais aussi les erreurs et les chutes.

Devra-t-on conclure des observations précédentes relatives au contact des races diverses que, pour obtenir un Phidias, il convient de mettre en rapports intellectuels quelques Aryans et un Sémite, sous une certaine latitude ? que les arts se forment comme les compositions chimiques, d’après une formule et un peu de chaleur ou un courant électrique ? Non ; mais dans l’étude historique des arts, comme dans celle de la philosophie, des mouvements de l’esprit humain, — et les arts ne sont autre chose qu’une éclosion intellectuelle, — il est nécessaire de bien connaître et de constater les conditions favorables ou défavorables à cette éclosion, par conséquent de signaler les courants, leurs mélanges et les produits successifs de ces mélanges.

On s’est un peu trop habitué, peut-être, à traiter les questions d’art d’après ce qu’on appelle le sentiment ; influence mobile comme la mode, fugitive, et qui a le grand inconvénient d’éloigner l’artiste de la recherche des causes, des origines, de l’idée philosophique sans laquelle l’art n’est qu’un métier ou l’emploi d’une recette.

Le sentiment, admettant qu’il faille compter avec lui, a besoin d’un point d’appui ; où le trouvera-t-il, si ce n’est dans l’analyse, le raisonnement, l’observation et le savoir ? Jugeons les choses d’art avec notre sentiment, si l’on veut, mais élevons notre sentiment, ou plutôt notre faculté de sentir, à la hauteur d’une science, si nous prétendons faire accepter nos jugements par le public impartial. D’ailleurs, n’en est-il pas un peu du sentiment comme de la foi, qui accepte, mais ne crée pas. À la raison humaine seule est réservée la faculté de créer ; c’est la raison qui conduit à l’art par la recherche et le triage d’où ressort la définition et la conscience du beau et du bon ; c’est la raison qui conduit à la philosophie par les mêmes procédés. On n’a jamais fait de philosophie passable avec ce que nous appelons le sentiment. Les Grecs, qui s’y connaissaient un peu, n’ont jamais cru que le sentiment seul pût guider, soit dans la pratique des arts, soit dans les jugements que l’on peut porter sur leurs productions. « Toutes choses étaient ensemble ; l’intelligence les divisa et les arrangea », dit Anaxagore[1]. Si la foi et le sentiment font des miracles, ce n’est pas de cette façon. La foi fait mouvoir les montagnes peut-être, mais elle ne sait ni ne s’enquiert de quoi les montagnes sont faites, ni pourquoi elles sont montagnes. Si elle le savait, elle se garderait de les déranger de leur place.

Qu’est-ce, dans les arts, que le sentiment des choses, sans la connaissance des choses ?

Ce serait trop sortir de notre sujet que de nous étendre plus longtemps

  1. Commencement d’un ouvrage (Diog. Laerce, II, 6 ; Walken, Diatrib. in Euripid. fragm.).