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Chartres comme réunissant d’une manière plus intime l’architecture et la sculpture. En effet, les piles qui portent les voussures de ces porches appartiennent plutôt à la statuaire qu’aux formes architectoniques. Le porche du nord présente un des exemples les plus complets de cette alliance intime des deux arts. Il suffit pour le reconnaître de feuilleter la monographie de cette cathédrale publiée par Lassus et les planches de l’ouvrage de M. Gailhabaud[1]. Les supports des statues, celles-ci et les colonnes qui leur servent de dossier, forment un tout dont la silhouette est des plus heureuses, et dont les détails sont du meilleur style. L’originalité de ces compositions, qui datent de 1230 à 1240, est d’autant plus remarquable, qu’à cette époque déjà les maîtres des œuvres, séduits par les combinaisons géométriques, tendaient à restreindre le champ du statuaire.

Dès les premières années du XIIIe siècle, il s’était fait dans l’art de la sculpture d’ornement une révolution qui tendait d’ailleurs à faciliter l’alliance de la statuaire avec l’architecture. La sculpture d’ornement servait alors de lien, de transition naturelle entre les formes géométriques et celles de la figure humaine, en ce que déjà elle recourait à la flore des bois et des champs pour trouver ses motifs, au lieu de s’en tenir aux traditions des arts romains et byzantins. Il nous faut ici revenir un peu en arrière afin de faire connaître par quelles phases les différentes écoles françaises avaient fait passer la sculpture d’ornement, tout en s’occupant de développer la statuaire. Jusqu’au XIe siècle, sauf de rares exceptions, telles que celle présentée figure 11, la sculpture d’ornement reproduisait d’une manière barbare et maladroite les restes de la sculpture gallo-romaine. Nous n’avons fait qu’indiquer les influences dues aux Visigoths, aux Burgondes, aux Scandinaves (Normands), parce qu’il est difficile d’apprécier l’étendue et l’importance de ces influences faute de monuments assez nombreux. Mais, au moment des premières croisades, la sculpture d’ornement se développe, nous l’avons dit déjà, avec une abondance telle que bientôt les modèles orientaux qui avaient servi de point de départ sont dépassés quant à la variété et à l’exécution. Ces modèles, les croisés occidentaux les avaient trouvés dans les villes de la Syrie centrale et à Constantinople. Mais cette sculpture gréco-romaine est plate, un peu maigre, découpée, et sa composition pèche par la monotonie. C’est un art de convention qui n’empruntait que bien peu à la nature. Le bel ouvrage sur les églises de Constantinople, par M. Salzenberg[2] ; le Recueil d’architecture civile et religieuse de la Syrie centrale, publié par M. le comte Melchior de Vogüé avec les dessins de M. Duthoit[3], nous font assez connaître que déjà, au Ve siècle, il existait dans

  1. L’Architecture du Ve au XVIIe siècle et les arts qui en dépendent, t. I, Porche sept. de l’égl. cath. de Chartres et les détails.
  2. Alt-Christliche baudenkmale von Constantinopel. Berlin, 1854.
  3. Paris, Noblet et Baudry, 1865.