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tecture et de sculpture du domaine royal tendent à se substituer à ces écoles provinciales si brillantes encore au milieu du XIIe siècle. Nous expliquons ailleurs[1] comment les sculpteurs laïques de la fin du XIIe siècle vont chercher leurs inspirations dans la flore des champs et des forêts ; comment certaines tentatives timides avaient été faites partiellement en ce sens, dès le commencement du XIIe siècle, par les meilleures écoles françaises, et notamment par les artistes de Cluny, sans toutefois que ces tentatives aient apporté un appoint important à travers les influences orientales ou les traditions gallo-romaines ; mais comment, enfin, cette observation de la nature se formule en des principes invariables au sein de l’école du domaine royal, de 1190 à 1200.

Il ne semble pas toutefois que cette école ait, la première, repris la voie à peine entrevue et bientôt abandonnée par quelques artistes, près d’un siècle auparavant. C’est encore l’école de Cluny qui marche en tête, vers 1170 ; et si elle est bien vite dépassée par l’esprit logique des artistes laïques de l’Île-de-France, il ne faut pas moins lui rendre cet hommage.

Entre autres qualités et défauts, l’esprit de la population dont Paris est devenu le centre passe brusquement de l’idée à la pratique par une déduction logique ; nos révolutions, nos modes en sont la preuve. Une idée, un principe ne sont pas plus tôt émis chez nous, que l’on prétend immédiatement les mettre en pratique.

En Allemagne, on discutera pendant des siècles sur la caducité d’un système ou la vitalité d’un principe avant de penser sérieusement à détruire le premier et à adopter le second ; en France, à Paris surtout, on passera bien vite de la discussion théorique aux effets. Si dans le domaine de l’art, les Académies ont pu, depuis deux siècles, ralentir ce courant logique qui conduit de la théorie à la pratique, comme elles n’existaient point en 1180, et qu’il ne paraît pas que les écoles monastiques aient prétendu prendre ce rôle, il n’est pas surprenant que l’école laïque, nouvellement formée alors, se soit jetée avec passion dans cette application de principes nouveaux à l’ornementation sculptée, d’autant qu’elle avait hâte d’en finir avec cet art roman qui représentait à ses yeux la féodalité monastique, dont elle ne voulait plus, dont saint Bernard avait diffamé les arts, et que les évêques tendaient à détruire.

L’école de Cluny, malgré les reproches du fondateur de l’ordre de Cîteaux, ne tenait pas moins à conserver le rang élevé qu’elle avait su prendre dans la pratique des arts. À ce point de vue, elle prétendait marcher avec le siècle et le devancer au besoin. Vers 1130, ses relations avec l’Orient s’étaient étendues. Elle élevait alors le narthex de l’église de Vézelay, dont l’ornementation est mieux pénétrée de cet art gréco-romain de Syrie que ne l’est celle de la nef. Quelques années après, vers 1150, elle construisait la salle capitulaire de la même église, dont la sculpture est si fortement empreinte de l’art byzantin de Syrie, qu’on croirait voir dans

  1. Voyez Flore.