Page:Viollet-le-Duc - Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, 1854-1868, tome 8.djvu/258

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
[sculpture]
— 255 —

marteau des statues de bronze ou de grands objets mobiliers, tels que chaires, fonts baptismaux, croix de carrefour, lutrins, margelles de puits, tombes, candélabres, etc., il avait adopté un procédé mixte qui permettait d’obtenir des résultats singuliers. On fondait une figure, comme un mannequin vêtu d’un habit de dessous ; puis, sur ce mannequin de bronze, on posait successivement des habits de dessus, faits au marteau, des armes, des bijoux de bronze ciselé, des couronnes et tous les ornements constituant une riche parure. C’est ainsi que sont fabriquées quelques-unes des statues qui ornent le tombeau de Maximilien à Innsbrück ; et bien que ce monument ne date que du XVIe siècle, nous retrouvons là un procédé de fabrication très-anciennement adopté, non-seulement en Allemagne, mais en France.

D’autres fois le mannequin était de bois, et était revêtu de lames très-minces de bronze façonnées au marteau ou simplement embouties, c’est-à-dire modelées avec l’ébauchoir sur son moule de bois. Aussi ces artistes du moyen âge pouvaient-ils satisfaire à toutes les exigences de l’art et à celles de l’économie.

Le siècle de Louis XIV, qui avait la prétention d’avoir tout inventé ou tout retrouvé, admit qu’avant les frères Keller on ne savait point couler en bronze de grandes pièces en France[1]. Sans vouloir en rien diminuer le mérite de ces industriels, nous ne pouvons admettre qu’ils aient retrouvé les procédés de fonte ; ils n’ont fait qu’adopter, pour toute fonte, un mode rarement employé : et cela s’explique par la nature même des objets d’art qu’on leur demandait. Il s’agissait de fondre des statues d’après l’antique. Il est évident que le procédé de cire perdue ne pouvait être alors employé. Il fallait battre des pièces sur un moulage ou sur l’original, faire un noyau, rassembler avec grand soin les pièces autour du noyau, et couler du bronze dans l’intervalle resté libre. Ce procédé, si intéressant et précieux qu’il soit, eut un inconvénient, il déshabitua les statuaires de faire des cires perdues ; ceux-ci se contentèrent dès lors de façonner un modèle en terre que l’on moule en plâtre ; sur ce plâtre les pièces sont battues, et l’on coule, en ménageant un noyau au centre de toutes ces pièces rassemblées. Mais comme il est très-difficile, sinon impossible, de battre des pièces sur une statue entière et de les rassembler exactement, on coupe les statues en plusieurs morceaux et l’on fond séparément chaque pièce ; puis on rassemble ces pièces par des tenons, des goupilles et des rivets. Or, jamais, par ce procédé, le bronze ne conserve cet ensemble, cette unité d’aspect des pièces fondues d’un seul jet. Puis, comme les cou-

  1. Il en est de cette singulière prétention comme de beaucoup d’autres du même temps. On répète partout, par exemple, que la brouette a été inventée sous Louis XIV ; or, il est vingt manuscrits du XIIIe et du XIVe siècle dont les vignettes présentent des brouettes beaucoup moins grossières que celles de XVIIe siècle. Le haquet est, dit-on encore, inventé par Pascal ; l’invention ne lui ferait pas grand honneur, mais elle ne lui appartient pas. On voit des haquets figurés dès le XIVe siècle.