Page:Viollet-le-Duc - Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, 1854-1868, tome 8.djvu/274

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
[sculpture]
— 271 —

de Mont-Épilloy, de Crespy, toutes forteresses importantes destinées à faire du Valois un territoire inattaquable. Il est à croire que les finances du royaume entrèrent pour une large part dans ces acquisitions et ces travaux ; mais ce qui nous importe seulement ici, c’est le goût particulier qui présida à toutes ces grandes constructions. Au point de vue de l’architecture, elles sont largement conçues et traitées, ne participant en aucune manière de la maigreur et de la recherche que l’on peut reprocher au style de cette époque. D’ailleurs toutes empreintes du même style, elles semblent élevées sous la direction d’un seul maître des œuvres. Les profils sont d’une beauté exceptionnelle pour le temps, et la sculpture d’une largeur, d’une distinction qui ont lieu de surprendre au milieu des mièvreries de la fin du XIVe siècle. La statuaire qui reste encore à Pierrefonds, au château de la Ferté-Milon, a toute l’ampleur de notre meilleure renaissance, et si les habits des personnages n’appartenaient pas à 1400, on pourrait croire que cette statuaire date du règne de François Ier. Encore en trouve-t-on fort peu, à cette époque, qui ait cette largeur de style et ce faire monumental. Des fragments de la statuaire du château de Pierrefonds, le Charlemagne, le roi Artus[1], l’archange saint Michel de la tour de l’est, la Vierge du grand bas-relief de la façade, sont des œuvres de maîtres consommés dans la pratique de leur art, et tout remplis d’un beau sentiment. Jamais peut-être on n’a si bien vêtu la statuaire en faisant sentir le nu sans affectation, et en donnant aux vêtements leur aspect réel, aisé, sans recherche dans l’imitation des détails. Des statues tombales du commencement du XVe siècle sont d’une largeur de style dont la renaissance s’éloigne trop souvent. Il nous suffit de citer la statue d’Isabeau de Bavière, à Saint-Denis ; celle d’un évêque, d’albâtre gris, du musée de Toulouse ; celles des princes de la maison de Bourbon, dans l’église abbatiale de Souvigny ; de nombreux fragments déposés aux musées de Dijon, de Rouen, d’Orléans, de Bourges.

Il est clair que cet art français de 1390 à 1410 était loin de la maigreur, de la pauvreté que lui reprochent ceux qui vont chercher des exemples de la dernière statuaire gothique en Belgique ou sur les bords du Rhin. L’ornementation de Pierrefonds est en rapport avec cette bonne statuaire ; elle est ample, monumentale, admirablement composée et d’une exécution sobre et excellente. Les statues des preuses qui décorent les tours existantes du château de la Ferté-Milon présentent les mêmes qualités. C’est un art complet, qui n’est plus l’art du XIIIe siècle, qui n’est plus la décadence de cet art, tombant dans la recherche, mais qui possède son caractère propre. C’est une véritable renaissance, mais une renaissance française, sans influence italienne. Les Valois, ces princes d’Orléans, Louis, Charles, et enfin celui qui devint Louis XII, avaient pris évidem-

  1. Deux des neuf preux qui donnaient leurs noms aux tours du château. Ces statues ont 2m,30 de haut. Ces preux portent les habits de guerre des dernières années du XIVe siècle, rendus avec une remarquable souplesse.