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[sculpture]
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tarda pas cependant à reconnaître les défauts de cette coloration heurtée, vive, brillante et trop réelle, car vers la fin du XIVe siècle, tout en conservant des tons de valeurs différentes sur une même statue, on couvrit si bien ces tons de détails d’ornements d’or, bruns, noirs, que ce réseau dissimulait les oppositions de couleurs et rendait de l’unité à l’ensemble de la figure. Les colorations de la statuaire ou de la sculpture d’ornement au XVe siècle sont plus rares à l’extérieur des édifices. Ces peintures sont réservées pour les tombeaux, les retables, les meubles et bas-reliefs intérieurs. Toutefois on trouve encore à cette époque des traces de colorations extérieures : ainsi les statues dont nous parlions tout à l’heure, qui ont été découvertes dans les ruines du château de Pierrefonds, et qui décoraient les façades, les tours, étaient peintes, mais de trois tons seulement : le jaune, le brun rouge et le blanc. Presque toute la sculpture de l’hôtel de Jacques-Cœur, à Bourges, était peinte ; on distingue encore quelques traces des tons employés.

Pendant la renaissance encore reste-t-il quelques traces de ces traditions, malheureusement perdues définitivement depuis le XVIIe siècle.

Il faut reconnaître que la peinture appliquée à la sculpture lui donne une valeur singulière, mais à la condition que cette application soit faite avec intelligence et par des artistes qui ont acquis l’expérience des effets de la couleur sur des objets modelés, effets, comme nous le disions plus haut, qui ne sont point ceux produits sur des surfaces plates. Des tons très-sombres, par exemple, qui seraient lourds et feraient tache sur une peinture murale, prennent de l’éclat sur des reliefs. Un ton noir posé sur le vêtement d’une statue, par l’effet de la lumière, se détacherait en clair sur un fond de niche brun rouge. Cette sorte de peinture demande donc une étude spéciale, une suite d’observations sur la nature même, si l’on veut obtenir des résultats satisfaisants. Mais déclarer que la peinture appliquée sur la sculpture détruit l’effet de celle-ci, que c’est la conséquence d’une dépravation du goût, parce que quelques badigeonneurs ont posé du rouge ou du bleu au hasard sur des statues et que cela est ridicule, c’est juger la question un peu vite, d’autant que les Grecs ont de tout temps peint la sculpture comme ils peignaient l’architecture ; ils ne sauraient cependant être considérés comme des barbares. Malgré des abus, l’art de la période du moyen âge vers son déclin manifestait encore une grande force vitale. La sculpture à cette époque n’est point tant à dédaigner qu’on veut bien le dire : elle possède un sentiment de l’effet, une expérience longuement acquise, qui lui donnent une grande importance ; elle atteint d’ailleurs une parfaite sûreté d’exécution. De cette école sont sortis nos meilleurs artistes de la renaissance.

Pour conclure, il ne faut pas demander à l’art de la sculpture du moyen âge des modèles à imiter, pas plus qu’il n’en faudrait demander aux arts de la Grèce. Ce qu’il faut y chercher, ce sont les principes sur lesquels ces arts se sont appuyés, les vérités qu’ils ont su aborder, la manière de rendre les idées et les sentiments de leur temps. Faisons comme ils ont