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[serrurerie]
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vrages de serrurerie, destinés à rester apparents, fussent façonnés avec soin et fussent solides : au point de vue de l’art, l’avantage était au moins aussi important, car l’artisan s’ingéniait à trouver les combinaisons décoratives convenables en raison de la matière, de l’objet et de la place. La forme adoptée, étant vue toujours, devait être agréable et indiquer la fonction. Si, au contraire, on noie dans le bois la plus grande partie des objets de serrurerie fine, ce que nous appelons aujourd’hui la quincaillerie, il importe peu que ces objets revêtent une forme convenable ou agréable ; il devient même assez difficile de reconnaître si ces objets sont bien fabriqués, ou grossiers ou vicieux, car l’architecte ne peut voir une à une toutes les paumelles, équerres, ou serrures d’un grand bâtiment, avant leur pose. Les attaches de ces objets étant noyées dans la menuiserie, puis recouvertes de peinture, les défauts sont masqués et ne se dévoilent que par les accidents qu’ils occasionnent. Ainsi, en arrivant à dissimuler une bonne partie des objets de serrurerie aux yeux, on a provoqué les malfaçons, les négligences, la fraude. À menteur, menteur et demi : c’est trop naturel. Pour satisfaire aux règles imposées par le classicisme majestueux qui nous dominait si fort, l’architecte dissimulait et dissimule encore des escaliers, des tuyaux de cheminée, des conduites d’eau et (descendant aux détails) des ferrures nécessaires. Jugeant, non sans raison, que ce qui doit être dissimulé ferait tout aussi bien de ne pas être, ou tout au moins de n’exister qu’à l’état incomplet, les metteurs en œuvre ne se font pas faute de falsifier ou d’omettre cette marchandise qu’une majestueuse pudeur voudrait soustraire aux regards. Aussi est-il souvent nécessaire, aujourd’hui, de rappeler les serruriers dans une bâtisse nouvellement terminée, pour réparer toute la quincaillerie si bien dissimulée sous la peinture et même la dorure[1] : car, après tout, il faut qu’une porte ou une croisée roule sur ses gonds, ses charnières ou ses paumelles ; qu’un verrou et une serrure fonctionnent ; que les vis aient de la prise, et les fers de la quincaillerie une épaisseur convenable pour résister à l’usage.

Lorsque toutes les parties de la serrurerie fine étaient apparentes ; lorsque même, étant apparentes, elles contribuaient à la décoration, force était de leur donner une forme en harmonie avec leur destination, et de veiller à la bonne exécution d’ouvrages que l’œil le moins exercé pouvait vérifier sans cesse. Moins préoccupés du majestueux que nous ne le sommes, les maîtres du moyen âge cherchaient, pour les ouvrages de quincaillerie, les combinaisons les plus simples, sans jamais les dissi-

  1. Les vis sont certainement une invention excellente pour fixer la serrurerie fine sur de la menuiserie, et l’emploi des vis dans la quincaillerie ne date que de la fin du XVe siècle. Mais, grâce au soin que l’on prend aujourd’hui de cacher toutes les attaches des ferrures, les ouvriers enfoncent les vis à coups de marteau dans des trous faits au poinçon. Mieux vaudraient des clous. C’est ainsi qu’un perfectionnement devient une cause de malfaçon, quand on n’accuse pas franchement son emploi.