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les vieux généraux de la coalition, des officiers de nos armées républicaines : « On ne se bat pas comme cela ! »

Ce n’était pas seulement les commandants ennemis qui voyaient dans du Guesclin un capitaine gâtant l’art de la guerre, ses frères d’armes manifestaient aussi parfois cette opinion. Mais du Guesclin, par sa franchise, sa finesse, sa loyauté, et surtout ses succès éclatants, enlevait à ces défiances ce qu’elles pouvaient avoir de funeste. La noblesse n’était pas encore, à cette époque, dominée par la vanité jalouse qui plus tard fut si préjudiciable au royaume de France. Elle savait au besoin reconnaître la supériorité d’un chef doué d’un véritable génie, et se soumettre à son autorité. D’ailleurs, l’habile capitaine, qui sait attendre son heure, reprend bien vite la place due à son génie. Tout chevalier, et bon chevalier qu’il était, du Guesclin porta un coup aussi rude à la chevalerie, déjà fort abattue, qu’aux forteresses qui lui servaient de refuge.

Il suffit de voir comment fut conduite la petite armée qui gagna la bataille de Cocherel, pour reconnaître la supériorité militaire de du Guesclin. Bien que Charles V, à peine roi, non encore sacré, l’eût nommé, après la mort du roi Jean, mareschal pour li, ce n’était pas là un titre qui pût lui donner une autorité sérieuse sur les gentilshommes qui composaient sa petite armée, et parmi lesquels on comptait des grands seigneurs, tels que le comte d’Auxerre. Aussi, à peine entré en campagne pour s’opposer à la marche du captal de Buch qui, ayant réuni ses troupes à Évreux, prétendait surprendre le jeune roi à Reims pendant son sacre, les chefs de l’armée de du Guesclin se posent en donneurs d’avis. C’est d’abord Godefroy d’Anequin qui donne le sien, puis le sire de Beaumont[1]. Du Guesclin, qui suivait l’arrière-garde, laisse dire ; on se dirige sur le passage du captal, peu lui importe le reste. Celui-ci tenait beaucoup à dérober sa marche :

« Et faisoient grant paix, sans noise et sans cri,
Pour l’amour de Bertran qui redoubtoient si. »

D’après Froissart, le captal s’informe, auprès d’un héraut d’armes qu’il rencontre sur sa route, de la marche des Français. Le héraut répond que ceux-ci ont grand désir de le rencontrer, qu’ils ont pris le Pont-de-l’Arche et Vernon, et doivent être près de Pacy[2]. Le trouvère Cuvelier ne parle pas de ce fait ; mieux informé de ce qui se passe dans l’armée française que des gestes de l’armée du captal, il présente la troupe de du Guesclin envoyant des coureurs en avant qui ne découvrent rien. Mais Bertrand[3], arrivé à Cocherel et ayant fait traverser l’Eure à ses gens, malgré le rapport négatif des coureurs, se montre cette fois comme

  1. Chron. de du Guesclin, vers 4145 et suiv.
  2. Chron. de Froissart, liv, 1er, part. 2e, chap. CLXV.
  3. La narration du trouvère Cuvelier paraît plus explicite en ce qui regarde l’armée de