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châteaux, maisons, hôtels des XIVe et XVe siècles[1]. Ces animaux, qui se retrouvent sculptés sur nos édifices, soit sacrés, soit profanes, ne sont donc pas des produits du caprice ou de la fantaisie, comme on le répète si souvent ; ils ont une signification, ils sont destinés à imprimer dans la mémoire, à l’aide d’un symbolisme admis par tout le monde alors, des vertus, des qualités bonnes à acquérir, des vices ou des égarements qu’il faut éviter. Le commun peuple, qui ne savait pas lire, trouvait ainsi, au moyen d’une explication orale, un enseignement continuellement placé devant ses yeux. C’est ce qu’explique très-bien Richard de Fournival lui-même, au commencement de son Bestiaire d’amour : «… Quant on voit une estoire ou de Troie ou autre, on voit les fès des preudomes qi çà en arriere furent, aussi com s’ils fussent present ; et einsi est-il de parole : car quant on oi .I. roumans lire, on entent les aventures aussi com s’eles fussent empresent. Et puis ç’on fait present de ce qi est trespassé, par ces .II. choses puet-on à mémoire venir… Car je vous envoie cest escrit par painture et par parole, pour çou que qant je ne serai presens, que cis escris par sa painture et par sa parole me rendie à vostre mémoire come present… »

Les fabliaux si souvent représentés dans nos sculptures et peintures des XIIIe, XIVe et XVe siècles, sont, la plupart du temps, un enseignement moral destiné à s’imprimer dans la mémoire par les yeux. Mais ces représentations ne peuvent être confondues avec les figures symboliques, qui sont d’un ordre plus élevé, et demandaient une certaine dose de métaphysique pour être comprises. Il n’est besoin de faire ressortir quelles ressources la symbolique du moyen âge offrait aux artistes, et combien, à tout prendre, elle était plus poétique que ne peuvent l’être ces représentations banales d’ornements et de figures sans signification pour la foule, dont nous recouvrons nos monuments depuis la renaissance. Aussi n’est-il pas surprenant que l’indifférence pour toutes ces sculptures, fussent-elles allégoriques, ait remplacé, chez le peuple, l’intérêt qui s’attachait à des symboles dont chacun déchiffrait le sens. C’est ainsi que l’art chez nous ne s’est plus adressé qu’au dilettantisme, et a cessé de pénétrer dans la vie de tous, du petit au grand ; et que sous le règne d’un classicisme de convention, à côté des amateurs, il ne se trouve plus que des barbares.

Le moyen âge n’a point régulièrement adopté, comme les Byzantins dans leurs peintures, le symbolisme des couleurs. Quelques personnages sont représentés avec des vêtements coloriés habituellement de la même manière, mais on ne saurait trouver là la trace d’un système uniformément admis. Le rouge et le bleu, ou le pourpre et le bleu, sont généra-

  1. Voyez la Notice sur la vie et les ouvrages de Richard de Fournival, insérée dans le tome II de la première série du recueil de l’École des chartes, p. 32, par M. P. Pâris ; et le Bestiaire d’amour par Richard de Fournival, suivi de la réponse de la Dame, d’après le manuscrit de la Bibl. impér. (Hippeau, 1860, A. Aubry, édit.).