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Il existe, dans le tracé général de ces chapelles et collatéraux du chœur de l’église de Saint-Denis, une irrégularité notable. Les projections d’arcs-doubleaux normaux au cercle du rond-point ABC ne tendent pas au centre Q de ce cercle. Le centre de la seconde précinction LK est en T, au delà du centre Q sur le grand axe, tandis que le centre de la troisième précinction d, d′, sur laquelle sont posés les centres des chapelles circulaires, est en Q, et celui de la tête I des chapelles est en V. L’arc-doubleau ce a donc plus d’ouverture que l’arc-doubleau HI, plus encore que celui xi, plus encore que celui pr. Par contre, l’arc-doubleau Oa a moins d’ouverture que celui FG, etc. Si nous prolongeons jusqu’au grand axe les projections horizontales d’arcs-doubleaux Ae, BI, Ci, Dp, nous voyons que seule la ligne Ae tombe sur le centre T, et que les autres rencontrent le grand axe au delà de ce point. Le traceur a fait danser ces lignes comme on fait danser les marches d’un escalier dans une partie tournante, pour éviter les différences trop grandes que donneraient les secteurs à chacune de leurs extrémités. En effet, si le maître eût tracé les rayons tendants à un centre, les arcs d’entrée des chapelles eussent eu une ouverture hors de proportion avec celle des archivoltes AB du sanctuaire. Le tracé des arcs des voûtes devenait plus difficile, ou plutôt les écarts considérables entre les longueurs de branches d’arcs eussent été un embarras pour le constructeur, sans compter le mauvais effet produit à l’œil.

Il y a aussi dans ces irrégularités, appréciables seulement sur un plan exactement rapporté, un effet de perspective cherché. Il faut se rappeler que la place Z, dans le sanctuaire, était occupée par un magnifique autel avec le reliquaire des martyrs, le tout refait avec luxe par Suger, et que par suite de la déviation des rayons des chapelles, les cérémonies pratiquées en avant de l’autel des reliques se faisaient ainsi réellement au centre de ces chapelles. Quant à la plus grande ouverture des arcs-doubleaux ce, relativement à celles des arcs-doubleaux des chapelles antérieures, c’était un moyen de donner plus de profondeur à l’église suivant son grand axe, et de combattre l’effet de raccourcissement de l’abside produit par la perspective.

Ces délicatesses nous paraissent étranges aujourd’hui, et plutôt que d’en chercher le sens ou d’en constater les résultats, nous préférons mettre ces défauts de plantation sur le compte de l’ignorance de ces artistes anciens, quitte à nous émerveiller demain devant des irrégularités non moins importantes signalées sur des monuments de l’antiquité grecque ; irrégularités qui sont le résultat d’un besoin de l’œil et d’une très-délicate appréciation des effets perspectifs. Ayant ainsi deux poids et deux mesures, méprisant ici ce que nous admirons là-bas, nous ne tenons point compte d’ailleurs, dans nos constructions, de ces conséquences des lois de la perspective. Il faut convenir que, s’il était facile de modifier les largeurs des entre-colonnements ou les diamètres des colonnes dans un portique, grec, puisque ces recherches ne modifiaient