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son propre mouvement, et sans recourir à son fils, qu’elle accomplit ses actes miséricordieux ; elle paraît pourvue de la procuration la plus étendue sur les choses de ce monde. En s’étendant ainsi, le culte rendu à la Vierge devenait un motif d’œuvres d’art innombrables. Les statues de la sainte Vierge faites pendant les XIIIe, XIVe et XVe siècles se comptent par centaines en France, et beaucoup sont très-bonnes ; toutefois celles de ces statues qui remontent à la première moitié du XIIIe siècle doivent être considérées comme étant du meilleur style. La fin de ce siècle et le commencement du XIVe nous ont laissé plusieurs de ces ouvrages, qui, au point de vue de la grâce et du naturalisme le plus élégant et le plus délicat, sont des chefs-d’œuvre. Nous citerons les statues du portail nord de la cathédrale de Paris[1] ; celle du portail dit de la Vierge dorée à Amiens ; une vierge d’albâtre oriental (cathédrale de Narbonne) ; une vierge de marbre (demi-nature), dans l’église abbatiale de Saint-Denis, etc.

Pour faire saisir ces transformations, vers le naturalisme, de l’image de la sainte Vierge, nous donnons, figure 2, celle de la porte de droite de la face occidentale de Notre-Dame d’Amiens, qui date du commencement du XIIIe siècle, et figure 3, celle du portail de la Vierge dorée de la même église, qui date de la fin de ce siècle. La première figure est grave, elle étend la main en signe d’octroi d’une grâce. L’Enfant bénit ; sa pose est, de même que celle de la mère, calme et digne. La seconde est tout occupée de l’Enfant, auquel s’adresse son sourire. La première a l’aspect d’une divinité ; elle reçoit les hommages et semble y répondre ; de son pied droit elle écrase la tête du dragon à tête de femme, et, sur le piédestal qui la porte, sont représentées la naissance d’Ève et la chute d’Adam. La seconde statue est une mère charmante qui semble n’avoir d’autre soin que de faire des caresses à l’enfant qu’elle porte sur son bras. En examinant ces deux œuvres de sculpture, on mesure le chemin parcouru par les artistes français dans l’espace d’un siècle. Ce qu’ils perdent du côté du style et de la pensée religieuse, ils le gagnent du côté de la grâce, déjà un peu maniérée et du naturalisme. L’exécution de la statue de la Vierge dorée est merveilleuse. Les têtes sont modelées avec un art infini et d’une expression charmante ; les mains sont d’une élégance et d’une beauté rares, les draperies excellentes. Mais cette Vierge est une noble dame tout heureuse de s’occuper de son enfant, et qui ne semble point attaquée de cette maladie de langueur dont une certaine école de critiques d’art entend gratifier la statuaire du moyen âge. Plus de dragon sous les pieds de la Vierge dorée d’Amiens ; son nimbe, richement orné de pierreries et de cannelures gironnées, est soutenu par trois angelots d’un charmant travail.

Pendant le moyen âge, la Vierge n’est représentée sans l’Enfant que

  1. Voyez, à l’article Sculpture , la tête de cette statue, fig. 24.