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[vitrail]
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doivent en partie leur harmonie à la salissure que le temps a déposée sur leur surface ; et nous avons souvent entendu des peintres verriers mêmes prétendre que ces vitraux des XIIe et XIIIe siècles devaient produire un effet criard lorsqu’ils étaient neufs. Cette opinion peut être soutenue s’il s’agit de certaines verrières de pacotille, comme on en a fabriqué dans tous les temps, et surtout pendant le XIIIe siècle ; elle nous semble erronée s’il s’agit des verrières du XIIe siècle que nous possédons encore, en trop petit nombre malheureusement, et des bonnes verrières du XIIIe. En examinant les figures 3, 5 et 8, il est facile de reconnaître que les peintres ont parfaitement paré aux effets criards par la multiplicité et la disposition des traits ou hachures composant le modelé. En laissant les fonds limpides, et choisissant pour ces fonds des tons francs, mais d’une belle qualité colorante, lumineuse, ils ont eu le soin d’occuper tous les tons entrant dans la composition des figures et ornements, par un modelé serré ou des détails délicats qui donnent à ces tons la valeur relative convenable. On remplace habituellement aujourd’hui ce travail délicat et si bien entendu pour faire valoir la qualité de chaque ton, par une salissure factice mise de façon à laisser apparaître par échappées les tons purs, et l’on obtient ainsi parfois une harmonie à bon compte. Mais il faut avouer que ce procédé est barbare, et permet de supposer que nos verriers n’ont pas une théorie bien nette des conditions de l’harmonie des vitraux. C’est à peu près comme si, pour dissimuler le défaut d’accord entre des instrumentistes exécutant une symphonie, on faisait dominer, du commencement à la fin, une basse continue, une sorte de ronflement neutre, avec quelques rares intervalles laissant entendre par échappées une ou deux mesures débarrassées de cet accompagnement monotone. Faire de la peinture, translucide surtout, c’est-à-dire d’un éclat sans rival, pour la salir sous prétexte de l’harmoniser, est une idée qui peut entrer dans le cerveau d’amateurs passionnés de la patine des objets d’art plutôt que de ces objets mêmes, mais ne pouvait venir à l’esprit d’artistes qui cherchaient par tous les moyens sincères et profondément étudiés à rendre leurs conceptions. Il est évident toutefois que déjà au XIIIe siècle, on apposait certains glacis par parties sur des verrières communes[1] ; mais ces légers glacis apposés à froid, et probablement sur la verrière mise en place, ont des expédients pour obtenir un effet d’ensemble, et non une salissure mise au hasard sur les panneaux.

Les verrières du XIIe siècle des cathédrales de Chartres et du Mans, de l’église abbatiale de Saint-Denis, de Vendôme et d’Angers, pouvaient et peuvent se passer de cette patine, puisque (sauf les fonds qui, ne l’oublions pas, sont faits avec des verres d’une qualité harmonieuse incomparable) tous les détails de l’ornementation et des figures sont

  1. Nous avons reconnu la présence de ces patines factices sur des vitraux qui avaient été enfermés dans du plâtre peu après leur exécution.