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bleu n’a pas d’action sur le filet rouge, ne le rend pas violet ; ce rouge conserve toute sa pureté et fait d’autant mieux valoir la finesse du ton bleu. L’action du filet blanc sera encore plus efficace, si ce filet est perlé, comme il est indiqué en P, parce que le blanc, réduit à des touches répétées, prend d’autant plus de fermeté. Mais si l’on fait le contraire, c’est-à-dire si l’on met le filet blanc en B, à l’intérieur, et le filet rouge en C, à l’extérieur, le blanc sera quelque peu azuré par le voisinage du bleu, et ne présentera plus, pour le rouge, une opposition qui fera ressortir son éclat ; partant le rouge sera terni par le rayonnement du bleu passant à travers le blanc.

Il est facile, par une expérience que chacun peut faire, de se rendre compte de cet effet. Si le filet rouge est compris entre deux filets blancs (perlés surtout), il conserve de même sa valeur, et l’on obtient une harmonie d’une extrême délicatesse ; car alors entre le rouge, qui ne perd rien de sa qualité, et le bleu, il s’interpose un orle nacré qui fait une transition des plus heureuses entre le rouge et le bleu. En effet, la juxtaposition du rouge et du bleu est périlleuse ; elle est une véritable dissonance, et c’est avec beaucoup d’adresse que les peintres verriers des XIIe et XIIIe siècles s’en sont servis. Si par l’extraposition du blanc, le rouge conserve sa qualité et n’est plus soumis au rayonnement du bleu, l’harmonie est dure ; si le blanc fait défaut, le rouge est violacé et prend une qualité fausse : l’interposition d’un blanc verdâtre ou jaunâtre entre le rouge et le bleu (à la condition d’avoir du blanc également à l’extérieur du rouge) produit l’effet le plus heureux. Les peintres qui ont fait les belles verrières de Chartres, de Bourges, etc., ont usé largement de ce moyen de sertir les fonds bleus.

Après avoir étudié nos plus belles verrières françaises, on pourrait établir qu’au point de vue de l’harmonie des tons, la première condition pour un artiste verrier est de savoir régler le bleu. Le bleu est la lumière dans les vitraux, et la lumière n’a de valeur que par les oppositions. Mais c’est aussi cette couleur lumineuse qui donne à tous les tons une valeur. Composez une verrière dans laquelle il n’entrerait pas de bleu, vous n’aurez qu’une surface blafarde ou crue, que l’œil cherchera à éviter ; répandez quelques touches bleues au milieu de tous ces tons, vous aurez immédiatement des effets piquants, sinon une harmonie savamment conçue. Aussi la composition des verres bleus a-t-elle singulièrement préoccupé les verriers des XIIe et XIIIe siècles. S’il n’y a qu’un rouge, que deux jaunes, que deux ou trois pourpres et deux ou trois verts au plus, il y a des nuances infinies de bleu, depuis le bleu clair gris de lin jusqu’au bleu foncé violacé, et depuis le bleu glauque et le bleu turquoise jusqu’au bleu saphir verdissant ; or, ces bleus sont posés avec une très-délicate observation des effets qu’ils doivent produire sur les autres tons et que les autres tons doivent produire sur eux. Il y a, par exemple, des harmonies très-heureuses produites avec des tons bleus glauques et des rouges (le rouge comme fond, bien entendu),