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CONCLUSION.

de bien et d’honneur, bons pères de famille, religieux, qui ne se font aucun scrupule de provoquer une guerre civile, de piller leur propre pays, de s’allier avec des souverains étrangers, parce qu’ils sont au prince de Condé ou au duc de Beaufort[1]. Nous avouons que lorsque nous voyons un notaire ou un négociant retirés vouloir aujourd’hui se meubler comme ces gens-là, c’est-à-dire vivre comme eux dans leur intérieur, le fou rire nous prend… Il semble que, dans notre pays, le désordre et les contradictions doivent toujours exister quelque part. Jusqu’au commencement du dernier siècle, bien peu de citoyens possèdent le sentiment des devoirs publics ; mais, dans la vie privée, on trouve de grands caractères, un respect général pour les traditions, des mœurs qui s’accordent avec le milieu dans lequel on est né. Depuis 1792, l’esprit public présente une certaine unité, il s’est développé ; mais la confusion est entrée dans la vie privée, et l’on peut citer comme des exceptions les hommes qui savent être ce que la fortune les a faits ou s’accommoder à leur temps. Le besoin de paraître s’est introduit dans le mobilier comme dans les vêtements, et l’industrie s’efforce naturellement de satisfaire à ces travers. On concevrait que les petites fortunes prétendissent au luxe apparent que peuvent se permettre les grandes, et que le bien-être fût ainsi, parfois, sacrifié au désir de briller — il y a longtemps que pour la première fois on a reproché à la bourgeoisie de vouloir singer les gentilshommes, — mais notre temps dévoile une infirmité sociale qui ne s’était pas encore produite au même degré. C’est au contraire dans les classes élevées (ou du moins favorisées de la fortune) que se manifestent particulièrement ce besoin de paraître, ce goût pour le faux luxe qui semblaient autrefois réservés à ceux

  1. Une seule citation entre mille. Henri de Campion, bon gentilhomme, brave, excellent homme au fond, plein de droiture et d’honneur, dit, dans ses Mémoires, lorsque le duc de Longueville, auquel il s’était donné, rompt avec les princes : « Il avoit (le duc de Longueville) alors changé de projet, pour quelques mécontentemens qu’il eut des Princes, qui refusèrent de lui accorder des choses qu’il souhaitoit d’eux pour se déclarer » (c’est-à-dire pour concourir avec eux à faire entrer les troupes espagnoles sur le territoire français). « Il envoya à la cour le sieur de la Croisette, qui négocia si bien, que le duc (de Longueville) s’engagea entièrement dans les intérêts du roi. J’ai toujours eu une telle passion pour le maintien des lois, que je ressentis une extrême joie de cet arrangement, quoique je jugeasse que je ferois plutôt fortune dans l’autre parti. » Il est difficile de se réjouir plus naïvement de ne pas être traître à son pays. Remarquons, en passant, que ce même Henri de Campion, bien qu’il trouvât le procédé vif, était un des gentilshommes du duc de Beaufort qui devait assassiner le cardinal Mazarin dans sa voiture (voy. Mém de Campion, Jannet, 1857). Cela ne se passe pas sous Philippe-Auguste, mais au milieu du XVIIe siècle.