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de s’en servir avec supériorité. La charrue, si utile qu’elle soit, ne réveillerait pas dans son cœur tous ces sentiments complexes qui au fond sont humains, puisqu’ils apprennent à l’homme à compter avec son semblable, à devenir plus fort que son voisin, par un effort de son intelligence et par son adresse.

Plus les peuples sont près de leur berceau, plus ils attachent d’importance aux armes, car c’est l’arme qui fait à l’individu sa place dans la société primitive. L’arme primitive est personnelle ; son imperfection ou sa perfection relative placent celui qui la porte dans un état d’infériorité ou de supériorité vis-à-vis de ses semblables. Si quelque chose devait rendre la guerre odieuse, ce serait l’uniformité ou la non-personnalité de l’arme. Aujourd’hui, un soldat n’est qu’une force communiquée à un fusil ; plus cette arme se perfectionnera, plus l’homme sera réduit, aux yeux du vulgaire, à l’état d’un déclic qui fait partir une détente. Mais il n’en va pas ainsi heureusement ; l’intelligence, la prévision, le savoir, ne feront que donner de plus en plus la supériorité à cet effroyable mécanisme qu’on appelle une arme ; et de fait, il en a toujours été ainsi.

Pendant le cours du moyen âge et jusqu’à l’application sérieuse de l’artillerie, bien que l’arme fût personnelle, qu’elle fût faite au gré de celui qui la portait, elle n’en est pas moins, par cela même, le produit de son intelligence. Ses perfectionnements assuraient, comme de nos jours, la supériorité à ceux qui avaient su les adopter les premiers. L’échelle était moins étendue, voilà tout.

Quand après des désastres comme ceux que nous venons d’éprouver, on relit ces tristes récits des Joinville, des Froissart, des Villani, et de tant d’autres chroniqueurs qui retracent les batailles de la Massoure, de Crécy, de Poitiers, d’Azincourt, on retrouve les mêmes causes d’infériorité relative, les mêmes fautes, les mêmes imprévoyances, qui nous ont été si fatales pendant la dernière guerre ; chez l’ennemi, les qualités qui, alors comme aujourd’hui, lui ont assuré la victoire. Après la prise de Damiette, saint Louis divise son armée en deux et s’enfonce dans le pays sans assurer convenablement sa ligne de communication avec sa base d’opération ; il est attaqué en détail, ne peut se concentrer à temps, se voit coupé, et est fait prisonnier avec la plus grande partie de ses gens. À Crécy, à Poitiers, à Azincourt, l’armée française ne sait ni occuper une bonne position, ni opérer un mouvement tournant, ni enfin se conformer aux règles les plus élémentaires de la guerre ; elle est battue à outrance par un ennemi moitié moins nombreux, mais chez lequel la tactique et la discipline sont maintenues, qui agit avec prudence et ne se pique