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[ ARBALÈTE ]
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L’arbalète était en effet une arme excellente tant par la justesse du tir que par sa puissance de projection. Elle n’avait contre elle que son poids et la lenteur du tir, car, au xive siècle, alors que les arbalètes étaient très-perfectionnées, un bon arbalétrier ne pouvait guère envoyer que deux carreaux par minute, tandis qu’un archer décochait une douzaine de flèches. Au xve siècle, on distinguait trois espèces d’arbalètes de guerre : l’arbalète à pied-de-biche, l’arbalète à tour ou à moufle, et l’arbalète à cry, dénominations empruntées à la manière de bander l’arc ; mais avant cette époque on ne possède qu’un petit nombre de renseignements sur les procédés employés par les arbalétriers pour amener la corde de l’arc sur la noix. Au xiie siècle, l’arbrier de l’arbalète était déjà muni à son extrémité d’un étrier pour passer le pied et faciliter ainsi le tirage sur la corde. Les vignettes des manuscrits du xiiie siècle permettent de se rendre un compte exact de la manière de procéder lorsque l’arbalétrier voulait bander son arme. La retournant la noix de son côté, il passait le pied droit dans l’étrier[1], logeait la corde de l’arc dans un crochet pendu par une forte courroie à sa ceinture, et, exerçant une pesée sur l’étrier par le relèvement des reins, il amenait la corde dans l’encoche de la noix (fig. 1[2]). De la main gauche il saisissait l’arbrier, et de la droite le bout de la courroie à laquelle le crochet était fixé ; ainsi pouvait-il appuyer la corde contre l’arbrier. La gâchette destinée à décliquer la noix se présentait ainsi en dehors, comme le montre la figure 1. Les exemples touchant cette manière de bander l’arc de l’arbalète de guerre, pendant les xiiie, xive et xive siècle, ne font pas défaut. On voit même, dans le beau manuscrit de Gaston Phébus sur la vénerie[3] qui date de la fin du xive siècle, des veneurs à pied qui bandent les arcs de leurs arbalètes par ce moyen. Sur ces dernières peintures, le crochet est simple, et devait ainsi glisser à côté de l’arbrier. Le crochet double des armes de guerre avait plus de puissance et était adapté aux armes d’un volume plus fort que celles de chasse. Nous ne pensons pas que le pied-de-biche (qui pourrait bien être le mécanisme le plus

  1. « Le soir, au soleil couchant, nous amena li connestables les arbalestriers le roy a pié, et s’arrangierent devant nous. Et quant li Sarraziu nous virent mettre pié en l’estrier des arbalestes, ils s’enfuirent et nous laissierent. » (Hist. de saint Louis, par le sire de Joinville, publ. par M. Nalalis de Wailly, p. 86.).
  2. Manuscr., Hist. du Saint-Graal, Biblioth. nation., vignette des entourages.
  3. Biblioth. nation. Voyez, entre autres vignettes, celle placée en tête du chapitre : « Cy après devise coment on puet traire aux bestes noyres (sanglier, loup) ». Et dans la partie des Jeux et Passetemps, l'article sur la Chasse, les figures 5, 7 et 8.