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[ ARBALÈTE ]
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jugé, mais encore cette position permettait-elle de viser, puisqu’on pouvait approcher la main droite de l’œil, sans trop incliner la tête. Avec les grandes arbalètes à tour, l’extrémité de l’arbrier passant sous l’aisselle pour empêcher la bascule, le tireur devait incliner beaucoup la tête pour mirer le but. Ces arbalétriers à pied acquéraient cependant une grande habileté et manquaient rarement leur homme. La qualité des carreaux entrait pour beaucoup dans la justesse du tir, aussi étaient-ils fabriqués avec grand soin (voyez Carreau).

Il nous reste à parler des arbalètes à cry ou à cric, lesquelles sont les plus puissantes, à cause de la force de leur arc. L’arbrier de ces arbalètes est court, de 0m, 60 à 0m, 65, épais ; l’arc n’est plus maintenu par des bielles de fer, mais par un système d’attache de cordages des plus ingénieux. Il est bandé à l’aide d’un cry à manivelle. Voici (fig.8) une de ces arbalètes avec son cry[1]. L’arc d’acier de cette arbalète n’a pas moins de 0m, 045 sur 0m, 015 au milieu. Afin d’éviter le contrecoup de cet arc sur la tête de l’arbrier, lorsqu’on lâche la détente de la noix, cet arbrier est fendu à son extrémité antérieure (voy. le profil A). Un boulon a maintient les deux branches b et c. Une cale de bois dur est posée sur l’arc en e ; un trou est pratiqué en f ; une ligature de cordelle de chanvre passe à travers ce trou, se divise en deux parts, se croise sur la cale de bois en saisissant un anneau g ; puis cette ligature est fortement ficelée transversalement. Ainsi l’arc est retenu par une bride puissante, mais souple, qui neutralise les effets du contre-coup. La corde de l’arc, fabriquée comme celles présentées ci-dessus, est saisie, lorsqu’on veut bander cet arc, par une double griffe tenant à une crémaillère passant à travers une boîte de fer qui contient une roue d’engrenage h et un pignon i mû par une manivelle R. À cette boîte de fer est adaptée une forte bride de cordelle passant à travers deux boucles ; cette bride d est arrêtée par un loqueteau n, passe sous un goujon l traversant l’arbrier, et se trouve ainsi parfaitement maintenir la boîte le long de la face supérieure de l’arme. On agrafe la corde, on fait tourner la manivelle jusqu’à ce que cette corde tombe dans l’encoche de la noix. Alors on détourne la manivelle, on décroche les crochets, ou abat le loqueteau n, et l’on enlève le cry, qui s’attache à la ceinture de l’arba-

  1. La plupart des arbalètes à cry que conservent nos collections ne datent que du xvie siècle et même du xviie. On les employait cependant dès la seconde moitié du xve siècle. Pendant cette période de cent ans et plus, leur forme n’a pas varié. Celle que nous reproduisons ici provient du musée d’artillerie, n° 54 du Catalogue. Elle est plaquée d’ivoire et munie d’une hausse. Le Catalogue la range parmi les armes de la fin du xvie siècle. Le musée de Pierrefonds en possédait une toute semblable, sauf la hausse, qui date des premières années du xvie siècle.