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cution. En voyant comme sont composés, par exemple, les angles des contre-forts de la façade occidentale de Notre-Dame de Paris au niveau de la grande galerie, comme ces larges crochets, ces animaux, cette corniche et sa balustrade surmontée de figures, se combinent intimement avec les lignes de l’architecture, forment une silhouette hardie sur le ciel, on peut se demander si jamais l’art de la grande décoration monumentale a été poussé plus loin ; si jamais union plus complète exista entre les deux arts de l’architecture et de la sculpture pour produire un effet voulu, et bien voulu à l’avance, puisque tous ces énormes blocs de pierre étaient taillés sur le chantier avant d’être posés à près de 40 mètres de hauteur. En présence de pareils résultats, ne paraissons-nous point de pauvres apprentis montant nos bâtisses un peu à l’aventure, et cherchant à les décorer après coup à l’aide d’un essaim de sculpteurs attachés à leurs parois ; défaisant ce que nous avons fait, rajoutant des contre-forts par ici, des groupes par là, ou les supprimant pour les remplacer par des pots ou des ornements qui remplissent tous les livres à gravures imprimés depuis deux siècles !

Nous disions tout à l’heure que l’école de sculpture de la fin du XIIe siècle, en cherchant dans la flore les éléments d’une ornementation nouvelle, originale, savait donner à ses imitations un aspect monumental monumental éloigné encore du réalisme. Ces essais sont déjà systématiquement suivis dans l’œuvre basse du chœur de la cathédrale de Paris pour tous les chapiteaux des colonnes isolées monostyles, tandis que ceux des colonnes engagées du deuxième bas côté sont encore pénétrés du style roman de 1140.

Le chapiteau dont nous donnons ici une moitié (fig. 54), et qui appartient à l’une des grosses colonnes du sanctuaire, indique clairement la méthode admise par ces précurseurs de la grande école laïque du XIIIe siècle. La composition générale dérive du chapiteau corinthien romain et de ses diverses modifications, soit pendant le Bas-Empire, soit pendant la période romane. Mais les masses des feuilles, au lieu de se découper suivant un procédé de convention, imitant le faire des sculpteurs byzantins ou du commencement du XIIe siècle, se divisent en folioles enroulées et en larges tiges qui rappellent les premiers développements des bourgeons d’herbacées.

La manière grasse adoptée dans l’exécution, la courbure délicatement rendue des tiges, l’abondance de sève qui semble engorger cette végétation de pierre, tout cela est évidemment le résultat d’une observation passionnée des végétaux. Et c’est bien à Notre-Dame de Paris que s’épanouit tout d’abord cette plantureuse flore monumentale. Partout ailleurs, à la même époque, c’est-à-dire de 1163 à 1170, ou nous trouvons des imitations délicates et recherchées de la flore des champs, comme sur les ornements de Sens et de la salle capitulaire de Vézelay, ou ce sont des imitations de ces ornements gréco-romains plus ou moins bien comprises. Les sculpteurs de Notre-Dame ont été puiser leurs inspirations