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quet. Justement, elle connaît au fond du jardin plusieurs plantes de coquelicot qui dressent sur leurs feuilles d’argent ciselé des boutons velus où perle une goutte rouge. Elle y court, flatte les cosses gonflées à la peau rêche, les presse doucement dans ses mains. Qu’elle aimait autrefois à entr’ouvrir le bouton et à dérouler toute la belle soie fripée qui y est enclose ! Elle la lissait longtemps, tendrement, soufflait entre les pétales pour les gonfler, les étalait, écartait les poils noirs du calice puis s’éloignait, ravie. Elle se disait : « Je fais le bon Dieu », et les yeux rayonnants d’être puissante et bonne comme lui, elle marchait dans le jardin avec une orgueilleuse dignité.

Maintenant, pendant que les deux garçons, de leurs doigts impatients, forcent et brisent les menus coffrets verts, meurtrissent la soie précieuse, une pensée subite arrête Camille :

« Et s’ils ne voulaient pas encore fleurir, ces coquelicots ? S’ils préféraient rester enfants ? »

Elle se précipite vers ses frères :

— Regardez vos mains : elles sont propres avec toutes ces taches brunes ! Et vos costumes blancs : cela ne s’en va pas au lavage, le jus de coquelicot… Que va dire miss Winnie ?

Et devant leur mine consternée :

— Allons ! n’y touchez plus : je vais vous faire une belle petite danseuse…

Elle cueille un large coquelicot, rabat deux des