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criquet

différents ont bien la même forme ? Elle voudrait regarder encore l’œil jaune et l’œil vert. Mais M. Poiret fixe obstinément le parquet que râclent ses gros souliers.

— Est-ce que vous n’avez jamais voulu vous tuer. monsieur Poiret ? interroge-t-elle avec sympathie. J’aimerais bien savoir quel moyen vous auriez choisi, — quelque chose qui ne fasse pas bien mal et qui ne soit pas trop sale ?

— Mademoiselle, prononce M. Poiret d’une voix mal affermie, quelles que puissent être mes peines, je ne songerai jamais au suicide qui est une lâcheté.

— C’est vrai ? répond Criquet pensivement. Je ne suis pas très lâche ; pourtant il me semble que ce n’est guère commode de se tuer.

Elle hoche la tête avec gravité.

M. Poiret se redresse et se cale à grand bruit sur sa chaise ; sa bouche tremble ; la prunelle jaune et la prunelle verte semblent nager dans une brume humide.

— Ce sont là des pensées malsaines, mademoiselle, reprend-il en toussant avec énergie, des pensées qui ne conviennent ni à votre âge, ni à votre situation, que je me permets de qualifier d’heureuse, de très heureuse…

Criquet contemple le vide d’un air méditatif.

— Vous n’en savez rien, fait-elle enfin, on ne sait jamais… Vous avez parlé de vos peines tout à l’heure : il me semble, moi, que si j’étais un homme, je ne