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criquet

Vite une allumette. La page s’enflamme avec une lueur bleue, devient peu à peu noire, fragile, les caractères y tracent un réseau rouge scintillant, puis elle ondule, se brise et s’éparpille en menus fragments soyeux et doux comme une aile de chauve-souris.

Pour que le souhait se réalise, il s’agit maintenant de recueillir les cendres et de les jeter au dehors, dans le vent. C’est le rite que suivait autrefois Camille quand elle avait grande envie de quelque chose. À présent, elle n’y croit plus guère. Qui sait, pourtant ?

Par la fenêtre ouverte entre une aigre bouffée de bise qui secoue les mèches de Criquet, lui rougit les yeux et le nez. Des flaques d’eau luisent sur la chaussée, les devantures des magasins sont souillées d’éclaboussures et l’œil roux des premiers becs de gaz cligne pauvrement ; une auto passe en hoquetant, enveloppée d’une carapace de boue, avec une âcre odeur d’essence. Une orange au ventre ouvert pourrit dans le ruisseau. Tout est morne et sale.

Sous le porche d’une maison, en face, deux hommes soufflent dans des trompettes un air de cake-walk dont une fillette aux cheveux courts, maigre, aiguë, esquisse le pas en tapant sur un tambour de basque ; son visage vieillot est bleui de froid, ses jambes ressemblent à des baguettes de bois noir qui frappent alternativement le pavé gras. Un bébé emmitouflé dans des cache-nez, tourne maladroitement autour