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criquet

— Il m’a vue, s’écrie-t-elle. Allons-y !

Pourtant, elle hésite encore : c’est gênant, ces grands yeux d’or qui regardent : que de terreur suppliante et d’humble menace ils expriment ! La bête s’est enfuie dans un angle de la mare : et là, peureusement ramassée sur elle-même, voici que de mauve elle devient rouge, puis jaune, puis brune, se tache de vert, de rose, de violet, d’indigo, de nuances rapides et multiples qui semblent le frémissement de sa colère terrifiée ; enfin, défense suprême, elle exhale bruyamment deux jets d’une encre gluante qui noircit l’eau et cache une seconde le regard éperdu.

Alors, Camille n’hésite plus : la flèche file à l’aveuglette avec un bruit doux de plume froissée, pique dans quelque chose, s’agite un instant par secousses vives, tressaille ensuite lentement et s’arrête. Puis, le nuage noir peu à peu dissipé, Camille revoit la fleur toute flasque et molle qui flotte sur la mare, détendue, pâlie. L’un des yeux, transpercé par la flèche, est déjà mort ; mais l’autre, large ouvert, regarde toujours, du même regard plein de reproche et d’infinie détresse. Camille demeure d’abord immobile, penchée, les doigts posés sur la corde de l’arc tendu, puis son visage s’assombrit, grimace, ses lèvres s’allongent ; elle se redresse brusquement, tourne le dos, et fuit.

« Qu’ai-je donc ? se demande-t-elle tout en bondissant. Mon cœur me fait mal et mes jambes tremblent…