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criquet

Sa voix était pleine de béatitude et ses mains noueuses palpaient avec tendresse une tabatière en coquillages peints.

— Ils avaient peut-être fait le tour du monde ?

— Eh ! oui donc ! Plus d’une fois ! Ils en avaient vu des pays et puis des pays de sauvages où l’on prend la maladie…

— Et vous n’avez jamais été sur mer avec eux ?

— Sur la mer, ma pauvre demoiselle ? Ah ! dame non, j’aurais bien eu trop peur ! Je n’ai quitté l’Île que deux fois : la première, au lendemain de mes noces pour aller acheter l’horloge à la Roche-sur-Yon et conduire mon homme aux Sables… La seconde fois, je fus à la pêche avec mes gars, le long des gros cailloux du port et j’ai manqué de me noyer ; ils m’ont rattrapée par mon cotillon comme je coulais ; j’en suis restée longtemps tout hébétée. La mer, c’est bon pour les hommes. J’aime mieux mettre du bois sous la marmite et astiquer l’armoire.

Elle tourna lentement la tête vers la pièce obscure où luisaient, piqués d’un rayon, les cuivres des meubles, le cœur rose d’une large coquille et le cœur d’or palpitant de l’horloge ; ses yeux, tout à l’heure indifférents, eurent une lueur émue.

Criquet la contemplait avec une curiosité ardente et grave. Cette femme avait vécu si longtemps que son cou était flasque et brun comme celui d’une antique tortue, ses rares cheveux, pareils à des