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criquet

Elle était contente, son complot avait réussi. C’était elle qui avait proposé cette partie de pêche, qui l’avait organisée, protégée contre les intrus, — oui, même contre Michel. Celui-ci d’ailleurs, tout à la joie de son prochain départ pour Royan, n’avait point insisté pour les accompagner. Il ne rêvait que casino, théâtre, petits chevaux. Camille tenait donc son père, à elle toute seule, pendant la demi-heure qu’il fallait pour atteindre le bourg. Rare aubaine !

Elle allait tout lui dire. Mais par quoi commencer ?

La veille au soir, dans son lit, elle avait d’avance plaidé sa cause. Les mots lui venaient alors pressés et chauds ; ils coulent tout droit de son âme et sa voix était si touchante qu’elle lui donnait à elle-même envie de pleurer. Puis le sommeil s’était abattu sur elle ; en s’éveillant elle avait trouvé ses yeux glacés comme des petites huîtres, sa tête et son cœur mornes et morts. Maintenant on les dirait emplis de ces boules de vapeur cotonneuse qui se balancent au-dessus des talus humides.

Il fait presque nuit. Quatre heures n’ont pas sonné. Criquet ne s’est jamais trouvée dehors d’aussi bonne heure. Peut-être est-ce une raison de sa timidité ? Les champs ont l’air si doux et si triste, ce matin ! Elle n’osera jamais élever la voix dans ce silence. De temps à autre un oiseau brun aux plumes lourdes s’échappe d’une touffe d’ajoncs ou d’un buisson de ronces. Il y a dans le gris du ciel une petite étoile presque blanche