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criquet

Il détache la main de sa manche et repousse doucement Camille avec un sourire agacé.

Elle recule jusqu’à la porte en suffoquant. Une jeune fille ! C’est lui qui a dit le mot, lui, après tout ce qu’elle lui a confié le matin même ! Il ne se souvient déjà plus. Il a trompé son espoir, sa tendresse. Une grande chaleur monte aux yeux de Criquet, à ses tempes, elle grince des dents, se tord les mains, elle va crier : c’est la colère qui l’envahit, la colère qui vous prend tout entière, vous secoue, contre laquelle il est impossible de lutter. Il faut partir, se sauver, vite, tout de suite !

Elle ouvre la porte, se glisse au dehors : le vent la saisit aussitôt dans ses grandes mains brutales, la fait pivoter, l’entraîne ; elle descend la rue en courant, l’haleine et l’âme entre les dents : les pierres, les écailles d’huîtres et de moules roulent sous ses pieds ; elle plonge dans les flaques d’eau, heurte un caillou, glisse, trébuche sur un fagot, mais elle galope toujours, une main sur son béret, une autre à sa pèlerine ; un dernier bond, elle enfonce jusqu’aux chevilles dans le sable humide et la mer est là, à deux pas, toute noire et grondante.

Alors, elle demeure un instant immobile. Sa colère est tombée, elle se sent lasse, molle et très malheureuse. Elle pleure des larmes résignées et soumises, qui coulent sur ses joues, longues et tièdes. Il lui semble qu’elles couleront toujours.