— Comment saurions-nous ? Nous arrivons tout droit de Riga. Un bateau nous déposa ce matin à l’aube dans le port le plus proche d’où nous venons au grand galop de nos chevaux. Y aurait-il un deuil dans la famille royale ?
— Un deuil, vous pouvez le dire ! prononça lentement le vieux seigneur en hochant la tête… Christine, notre reine…
— Elle est morte ?
— Pour nous, oui. Et sans doute vaudrait-il mieux qu’elle le fût, en effet, plutôt que de trahir tous ses devoirs…
— Comment ça ?
— Christine de Suède abdique aujourd’hui, fit le vieillard, d’un ton solennel. Elle nous a convoqués pour assister à la cérémonie de cette abdication.
Sa voix se brisa et il baissa la tête.
— Elle nous quitte et elle quitte la Suède ! lança une voix.
— Elle que nous avons tant aimée, la fille de notre Gustave-Adolphe, le plus grand de nos rois ! fit une autre.
— Toute petite, il me l’avait confiée quand il partit pour la guerre dont il ne revint pas, reprit le vieillard. Bien plus que sur mes propres enfants, j’ai veillé sur elle, sur sa santé, sur son éducation. Je l’ai entourée de mon amour… Que de soucis elle m’a causés ! Que de nuits sans sommeil…
Incapable de cacher son émotion, les épaules voûtées, marmonnant et branlant du chef, le vieillard s’éloigna.
— C’est le grand justicier Per Brahe que Gustave-Adolphe considérait comme son père, murmura quelqu’un à l’oreille du jeune étranger. Il a tout fait pour retenir Christine. Il l’a suppliée de réfléchir ; il a exigé des délais ; il lui a offert la démission du Conseil d’État. Il a prosterné ses cheveux blancs à ses pieds. Vainement.
— Quant au vieux Chancelier Oxenstiern, le maître de Gustave-Adolphe, son conseiller, son premier ministre, qui lui a consacré toute une vie de dévouement ainsi qu’à sa fille après lui, on dit qu’il est frappé au cœur.