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Page:Viollis - Le secret de la reine Christine, 1944.djvu/37

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LE SECRET DE LA REINE CHRISTINE

m’agite comme un oriflamme au-dessus de la foule et des soldats qui font la haie.

Je riais toujours. Quels cris, quelles acclamations !

— Elle vaudra son père ! Intrépide comme lui ! hurlaient les vieux soudards attendris.

— Petite Bellone ! fit Ebba en souriant.

— Oui, un vrai triomphe. Désormais, je fus de toutes les revues, de toutes les parades. Les soldats me présentaient les armes. Mes oreilles se plaisaient au vacarme de l’artillerie, au roulement des tambours. Quand mon père s’approchait des plus braves pour les congratuler, de mes menottes je caressais leurs cheveux et leurs barbes hirsutes, je tendais mes lèvres vers leurs rudes faces couturées. Mon père, plein d’orgueil, murmurait souvent à mon oreille (on me l’a répété depuis) :

— Laisse-moi faire, je te conduirai un jour en des lieux où tu auras contentement !

Après un silence pensif :

— Plût au ciel, continua Christine, que j’aie pu faire l’apprentissage de la guerre sous un tel maître ! Eût-il vécu, je l’aurais suivi, j’aurais combattu à son côté ; le peuple se serait accoutumé à voir en moi un homme d’épée, un capitaine et je n’eusse pas mis l’ardeur qui me brûlait à devenir une pédante, une femme à barbe de l’érudition.

— Que dis-tu ? La reine la plus savante, la plus lettrée…

— Ah ! qu’avec allégresse j’eusse jeté aux chiens toute cette science absurde dont on m’a barbouillée pour brandir l’épée, galoper sur les champs de bataille et continuer l’œuvre du meilleur des pères, du plus grand des rois.

Christine se leva brusquement, marcha sur sa jupe qui craqua, parcourut le salon d’un pas impatient en rejetant ses cheveux en arrière, puis, s’arrêtant devant l’image de Gustave-Adolphe, étreignant sur sa cuirasse le petit enfant qu’elle était, elle le contempla avec une adoration désespérée :

— Hélas ! cela ne devait pas être. Il allait me quitter pour toujours…