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LE SECRET DE LA REINE CHRISTINE

Quand Marie-Éléonore qui, à Erfurt, quelque temps plus tôt, avait fait de tendres adieux à son héros, à son amant, apprit l’affreuse nouvelle, sa douleur fut si déchirante qu’on la crut prête au suicide. Longtemps elle resta gémissante et prostrée, sans vouloir prendre nourriture ni repos. Ce n’est qu’un an plus tard qu’elle eut la force de ramener en Suède le corps de Gustave-Adolphe.

Entre temps, à six ans, Christine avait fait ses débuts de reine.

— Cette toile en commémore le souvenir, dit-elle à Ebba en la désignant. Tu m’y vois déjà grandette, en cotillon de velours noir, tenant la main d’un chevalier de haute taille, mais qui n’est plus mon père. Cette tête aux cheveux gris, haut juchée sur la fraise blanche, avec son air majestueux et gourmé, tu la reconnais : c’est Oxenstiern avec vingt ans de moins. Quant à moi, j’ai les joues rondes et roses, des lèvres en moue — la lèvre inférieure, tu le vois, est déjà un peu pendante — mais mon air et mon maintien sont tels qu’ils inspiraient à tous frayeur et respect, m’a-t-on dit. La scène qu’a contée aujourd’hui à la Diète le vieux Larsson est exacte et je m’en souviens…

Les quatre États s’étaient rassemblés dans la salle de la Diète.

Comme le jour de l’abdication, il y avait là, réunis et serrés, les seigneurs, les dignitaires, les marchands et bourgeois, les paysans du royaume. L’assemblée était houleuse.

Tous les regards, tournés vers l’estrade, étaient fixés sur le trône vide du roi bien-aimé.

— C’est pour sa fille, pour notre Christine qu’il a confiée à nos soins, à notre amour que je demande vos suffrages ! clama le chancelier.

— Mais, avant de laisser tomber la maison royale en quenouille, nous voudrions bien la voir ! Nous ne la connaissons pas, cette fille de Gustave-Adolphe ! crièrent des voix.

— Soit ! Calmez-vous. Je vais vous la montrer.

Christine apparaît, cramponnée à la main du grand homme noir. Mais elle n’a pas peur. Elle est digne et fière. Elle sourit, parcourt l’assemblée du regard et de sa petite main fait un geste de bienvenue.

Larsson qui, plus jeune de vingt ans, lui aussi, était un beau