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Page:Viollis - Le secret de la reine Christine, 1944.djvu/53

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LE SECRET DE LA REINE CHRISTINE

Une journée entre tant d’autres : Voici Christine qui, à six heures, un matin de mai, entre dans la salle d’études. Il y fait encore sombre. Pourtant un rayon de soleil filtre entre les vitraux et vient taquiner le globe terrestre, en bois gaîment peint, sur la lourde table de travail. Avec un buisson de lilas dans un angle, c’est la seule note claire de ce lieu, austèrement tapissé de rayons de livres.

Christine a douze ans. Ses cheveux flottent en désordre sur ses épaules. Elle est rouge, les sourcils froncés avec un petit air de révolte. Son justaucorps de satin rouge, boutonné de travers, tombe de guingois, sur des chausses noires, et elle frappe le sol de ses petites bottes à revers auxquelles sont fixés des éperons.

Mais Jean Matthiae entre. Un élan la jette vers lui. Elle le regarde dans les yeux, lui sourit avec confiance, lui prend la main et la serre dans ses petites pattes aux ongles rongés.

— Avez-vous pu dormir, mon bon maître ? lui demande-t-elle avec affection. Ce mal de tête qui vous affligeait hier si cruellement vous a-t-il quitté ? Avez-vous usé de cet opiat que vous adressa de Paris M. Gilles Ménage ?

Matthiae a, en effet, une santé très fragile qui est une cause constante de souffrances.

Je vous remercie, Madame, cet opiat a fait merveille et je compte en demander un second pot à ce cher Ménage.

— Priez-le en même temps de m’envoyer quelques livres nouveaux avec de belles reliures et de me mander des nouvelles du prince de Condé que j’ai en grande estime. Et ne manquez pas de l’inviter une fois de plus à nous venir voir.

— Je crains, Madame, que jamais il ne se résolve à quitter les abords de la rue du Bac et de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés.

— Bah ! Matthiae, attendez que je sois plus vieille et tout à fait reine. Je veux faire de ma cour un parterre de gloires des sciences et des lettres. Et je paverai leur route de tant d’or qu’ils me célébreront dans tout l’univers. Je veux que ces rustres de Suédois en crèvent de dépit dans leur peau !

— Ne craignez-vous pas, Madame, qu’il n’y ait dans ce désir autant d’orgueil que de générosité ? Et pourquoi cette colère contre les Sué-