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LE SECRET DE LA REINE CHRISTINE

Ebba saisit une des mains de son amie et la couvrit de baisers. Plusieurs flambeaux s’étaient éteints. Le feu baissait. Christine la tête inclinée sur sa poitrine la releva soudain, essuya ses yeux, rejeta en arrière les mèches en révolte qui étaient tombées sur son front.

— Non, ne me plains pas trop, Ebba. Ce n’était pas Charles que j’aimais, je te le répète, mais l’amour qu’il avait éveillé en moi. J’allais bientôt m’en apercevoir… Dès lors, je résolus de ne pas me marier. Mais je ne le dis point à Charles. Quand il me suppliait et souvent avec des larmes, de lui accorder ma main, je me retenais de gifler cette face hypocrite. Mais il m’était commode comme paravent pour masquer et évincer mes autres prétendants. Autour, de moi, on n’avait pas été sans s’apercevoir de la faveur que j’avais longtemps marquée à mon cousin. Et tout d’abord des intrigues s’étaient nouées pour l’écarter du trône. La famille du Comte Palatin, son père, avait ses ennemis, ses jaloux. Mais, peu à peu, devant mon insistance têtue à ne me point marier, un revirement se produisit à son égard. Et de toutes parts on me conseilla d’abord, puis on m’exhorta, on me supplia enfin de le prendre pour époux et de donner enfin un héritier au trône. Mon cher maître Jean Matthiae vint lui-même à la rescousse et invoqua mes devoirs envers la Suède. L’ambassadeur de France, Chanut, qui était mon ami, vint également plaider la cause du prince. Je me contentai d’abord de réponses dilatoires : « Je désirais attendre encore… Je n’étais pas mûre pour le mariage… Je voulais être reine avant de convoler… » et autres balivernes du même genre. Lui-même commençait à s’alarmer d’une froideur à laquelle je ne l’avais point habitué et que je ne parvenais plus à dissimuler. La convoitise du trône, maintenant qu’il craignait de le perdre, prêtait à ses adjurations un accent de sincérité, une chaleur qu’elles n’avaient jamais eus.

— Cette fois, je le sais par moi-même ! s’écria Ebba. Je venais, pour mon bonheur, d’être attachée à votre personne. Comme toute la Cour et tout le pays, je croyais à votre inclination pour Charles-Gustave et à votre prochain mariage. J’étais là quand il revint d’Allemagne pour la seconde fois. Il s’était battu comme un lion sous les ordres du général Torstenson et de capitaine venait d’être promu colonel. À vingt-quatre ans ! Je le trouvais magnifique, si grand, si