Page:Virgile - Énéide, traduction Guerle, 1825, livres I-VI.djvu/133

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a foulé par mégarde un serpent caché sous des ronces, rebrousse tout à coup d’effroi, à l’aspect du monstre qui se dresse en sifflant, et gonfle son cou bleuâtre ; ainsi fuyait Androgée, pâle et tremblant à notre abord. Nous chargeons sa troupe incertaine, et nos armes serrées l’enfoncent de toutes parts. L’ignorance des lieux, la surprise, la terreur, tout les livre à nos coups : la fortune sourit à ce premier effort.

Fier d’un succès qui flatte son audace, « Compagnons, dit Corèbe, le sort nous montre le chemin de la victoire, c’est à nous de le suivre. Changeons de boucliers, empruntons aux vaincus leur parure étrangère : ruse ou valeur, qu’importe, quand il s’agit de triompher ? Nos ennemis eux-mêmes nous fourniront des armes. » À ces mots, il orne sa tête du casque à l’ondoyante aigrette, qui couvrait le front d’Androgée ; il suspend à son bras le riche bouclier du héros ; et l’épée d’un Grec ceint le flanc d’un Troyen. Bientôt Riphée, bientôt Dymas, et tous ceux qui me suivent, s’empressent d’imiter Corèbe : chacun se décore de son récent trophée. Ainsi mêlés parmi les Grecs, nous marchons, invoquant des dieux qui n’étaient pas pour nous. Nombre d’exploits signalent notre courage dans l’épaisseur des ombres ; nombre d’Argiens, immolés sous nos coups, vont peupler les enfers. Les uns, emportés par la peur, ont regagné leurs nefs, et cherché l’abri du rivage ; d’autres, dans leur honteuse frayeur, gravissent de nouveau les flancs escarpés du colosse, et rentrent dans le sein qui les avait vomis. Mais hélas ! qui peut compter sur un bonheur durable, quand le ciel est contraire !