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Page:Virgile - Énéide, traduction Guerle, 1825, livres I-VI.djvu/155

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l’arracher avant tout à ces lieux funestes, le transporter moi-même au sommet des montagnes. Mais ô douleur ! il renonce à vivre, quand la patrie n’est plus ; il préfère la mort à l’exil. « Ah ! c’est à vous, dit-il, à vous dans la fleur de l’âge, dans la vigueur de la jeunesse, c’est à vous que la fuite est permise. Pour moi, si le ciel eût résolu de prolonger mes jours, il m’eût conservé ces demeures. Assez et trop de désastres ont affligé mes yeux ; je ne survivrai pas deux fois aux calamités de Pergame. Voici, voici mon lit funèbre ; prononcez sur mon corps les derniers adieux, et partez. Une main secourable saura terminer ma vie : le vainqueur même plaindra mon sort, en se partageant mes dépouilles. Que m’importe un vain tombeau ? Depuis long-temps maudit des cieux, inutile à la terre, je traîne à regret le fardeau de mes ans, du jour fatal où le maître suprême des mortels et des dieux m’atteignit de la foudre, et me marqua de ses feux. »

Tels étaient ses discours, tels étaient ses refus obstinés. Cependant baignés de larmes, et Créuse, et le jeune Ascagne, et mes amis, et moi, nous le conjurons de ne pas tout perdre en se perdant lui-même, de ne pas mettre volontairement le comble aux maux qui nous accablent. Vains efforts ! c’est là qu’il a vécu, c’est là qu’il veut mourir. Hors de moi, je n’écoute plus que ma rage ; mon désespoir invoque le trépas. Que pouvais-je tenter encore ? qu’avais-je encore à ménager ? « Moi partir ! moi vous abandonner, mon père ! M’avez-vous cru ce courage barbare ? Cet affreux sacrifice, votre bouche paternelle