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Page:Virgile - Énéide, traduction Guerle, 1825, livres I-VI.djvu/261

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À ce prodige, Énée se trouble et demeure interdit : ses cheveux se dressent d’horreur, sa voix expire sur ses lèvres. Il n’aspire plus qu’à fuir ; il brûle d’abandonner un séjour trop aimable : tant cet avis sévère, tant cet ordre imposant des dieux, l’ont frappé de terreur. Mais comment faire, hélas ! Où, quand, et par quel détour, préparer à ce fatal départ la reine éperdue ? Que lui dire, et par où commencer ? Son esprit agité prend et rejette au même instant mille résolutions contraires, s’égare tour à tour en mille projets qui se combattent, et flotte au hasard sans pouvoir se fixer. Dans sa vague inquiétude, le parti le moins brusque lui paraît le plus sage : il appelle Mnesthée, Sergeste, et le vaillant Cloanthe : « Qu’on dispose en secret les nefs ; que les Troyens se rassemblent au rivage ; que chacun s’arme en silence ; et qu’un heureux prétexte déguise les motifs de ces nouveaux apprêts. Lui, pendant que l’infortunée Didon ignore tout encore, et ne peut s’attendre à voir rompre de si tendres amours, il tentera de l’aborder, saisira l’heure favorable à la douce persuasion, et préviendra, s’il est possible, un dangereux éclat. » Il dit ; aussitôt ses guerriers s’empressent d’obéir, et volent exécuter ses lois.

Mais qui peut tromper une amante ? La Reine a pressenti la ruse, et pénétré la première les mouvemens qui la menacent : le calme même n’est pas sans alarmes pour elle. Ce fut encore l’impitoyable Renommée qui vint annoncer à la malheureuse Didon l’armement des navires et l’instant prochain du départ. La fureur la transporte : égarée, l’œil en feu, elle court