Page:Virgile - Énéide, traduction Guerle, 1825, livres I-VI.djvu/277

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des pleurs roulent dans ses yeux : son âme reste inébranlable.

C’est alors que l’infortunée Didon frémit de l’horreur de sa destinée : elle invoque le trépas : l’aspect de la lumière est un tourment pour elle. De noirs présages aigrissent encore ses amers déplaisirs et son aversion pour la vie : elle a vu, lorsqu’elle chargeait d’offrandes les autels où fumait l’encens, elle a vu (spectacle affreux !) l’onde sacrée noircir, et les flots d’un vin pur se changer en un sang fétide. Ce signe effrayant n’a frappé qu’elle seule, et sa muette épouvante le tait même à sa sœur. C’est peu : dans son palais s’élevait un temple de marbre consacré à son premier époux ; temple saint, qu’elle honorait chaque jour de ses pieux hommages, que chaque jour elle ornait de tissus aussi blancs que la neige et de guirlandes religieuses : là, du fond du sanctuaire, souvent une voix lugubre, la voix de Sychée, l’appelle dès que la nuit ténébreuse enveloppe le monde : souvent encore du haut des tours, le hibou solitaire l’importune de ses cris funèbres, et traîne son chant sinistre en longs gémissemens. Mille antiques prédictions se retracent à son esprit, et leurs pronostics menaçans redoublent ses terreurs. Énée lui-même, l’impitoyable Énée, l’obsède et fait son supplice jusque dans les bras du sommeil : sans cesse elle croit se voir abandonnée de l’univers, seule avec ses douleurs ; sans cesse elle croit errer sans guide sur des plages lointaines, et chercher Carthage au milieu des déserts. Tel Penthée, dans son délire, marche entouré d’Euménides, voit luire deux soleils et s’élever deux Thèbes : tel encore le fils