Page:Virgile - Énéide, traduction Guerle, 1825, livres I-VI.djvu/319

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parmi les bancs des matelots, ne cesse d'aiguillonner leur troupe généreuse : « Allons, allons ! appuyez sur vos rames, dignes compagnons d’Hector, vous que s’associa ma fortune au dernier jour de Troie. Voici, voici le moment de déployer ces forces, de montrer ce courage qui dompta les syrtes d’Afrique, et les mers d’Ionie, et les noirs courans de Malée. Mnesthée ne prétend plus au premier rang, il ne combat plus pour vaincre. Si pourtant, hélas !… Mais qu’ils triomphent, ô Neptune, ceux que tu favorises. Loin de nous seulement la honte d’arriver les derniers ! voilà notre victoire, amis ; sauvons-nous du moins un opprobre. » À ces mots, redoublant d’efforts, tous à l’envi se courbent sur l’aviron : la nef au bec d’airain tremble agitée de violentes secousses : le flot gronde et recule : on voit, sous leur souffle haletant, palpiter leurs flancs robustes et leurs lèvres desséchées : des ruisseaux de sueur coulent de toutes parts.

Un coup du sort leur procura l’honneur qu’ambitionnaient leurs vœux. Tandis qu’entraîné par sa fougue, Sergeste effleure de trop près la gauche du rivage, et glisse entre elle et la Baleine par un étroit détour, l’infortuné rencontre un banc perfide où sa carène échoue. Le roc heurté s’ébranle : frappées de ses pointes cachées, les rames crient et se rompent ; et la proue, qui se brise, pend aux roches mugissantes. Les matelots se lèvent, et poussent un cri d’effroi : la manœuvre a cessé : on court, on s’arme à la hâte et de longs pieux aigus et de leviers garnis de fer : cent bras soulèvent le navire, cent bras recueillent sur l’abîme les avirons fracassés.